lundi 6 septembre 2010

Le Beau bizarre

Il y a quelquefois dans les personnes ou dans les choses un charme invisible, une grâce naturelle qu'on n'a pu définir, et qu'on a été forcé d'appeler le je ne sais quoi. Il me semble que c'est un effet principalement fondé sur la surprise. Nous sommes touchés de ce qu'une personne nous plaît plus qu'elle ne nous a paru d'abord devoir nous plaire; et nous sommes agréablement surpris de ce qu'elle a su vaincre des défauts que nos yeux nous montrent, et que le coeur ne croit plus. Les grandes parures ont rarement de la grâce, et souvent l'habillement des bergères en a. Nous admirons la majesté des draperies de Paul Véronèse ; mais nous sommes touchés de la simplicité de Raphaël et la pureté du Corrège. Paul Véronèse promet beaucoup, et paie ce qu'il promet. Raphaël et le Corrège promettent peu, et paient beaucoup ; et cela nous plaît davantage.
Essai sur le goût de Montesquieu
(Toutes les photos représentent Alexandre le Grand)
Le premier a les yeux « bleu piscine », de longs cils blonds recourbés, la peau bronzée. Il est grand - « 2 mètres tout juste » précise-t-il, très mince, mais musclé. Il a des épaules de nageur, et ça tombe bien c’en est un. Et pas n’importe lequel : il vient de remporter plusieurs médailles d’or. On lui demande : « vous savez que vous êtes beau ? » et, modeste, il répond que ce sont ses médailles d’or qui le font croire. Il prône l’esprit d’équipe : il aime se retrouver avec ses « potes » de l’équipe de France et chanter en choeur avec eux la Marseillaise. C’est le chouchou des médias, il fait le tour des plateaux télés où les caméras se placent de biais pour mieux capturer ses yeux bleu et ses cils en arêtes de poisson. Il s’entraîne sans cesse, fait des kilomètres en piscine, et après les « performances qu’il a fait » comme il dit, il a de bonnes chances de nous éblouir aux JO de Londres en 2012. Il mène une vie saine voire spartiate, mais il aime « faire la fête » aussi. J’imagine les ravages qu’il doit faire dans les clubs de Paris, le tapis rouge qu’on lui déroule, les malabars qui s’écartent pour le laisser passer, les autographes qu’il signe à tour de bras... Le film qu’il connaît par coeur c’est Very Bad trip (The Hangover) qui raconte les rocambolesques aventures de trois potes après une nuit de beuverie. Je parie qu’il a une Playstation. Il a un sourire franc et l’air cool.Le second aussi a les yeux bleu lagon. Grand comme une asperge et aussi plat qu’une limande, il entretient sa forme en ne se déplaçant qu’à vélo. En été, quand le temps le permet, il aime piquer une tête dans les étangs de Hampstead Heath au milieu des canards et des plantes aquatiques. Quand il expose sa peau au soleil, elle devient écrevisse. Il a la main verte et aime jardiner. Il va souvent au théâtre et visite les musées mais pousse la coquetterie pour le faire juste avant l’heure de fermeture. Il s’habille de fringues dénichées dans les friperies ou dans les boutiques vintage comme celles de la Old Truman Brewery à Brick Lane dans l’est de Londres, une ancienne brasserie transformée en espace culturel et commercial design. C’est un fin gourmet (bouffe italienne surtout) ce que sa ligne haricot vert ne laisse pas deviner. Il fait ses courses chez les traiteurs italiens et fréquente les marchés fermiers du dimanche. Chez Waterstones, la librairie géante de Piccadilly circus, il adore bouquiner au cinquième étage d’où l’on surplombe les toits de Londres. Pour lui, l’endroit le plus romantique de Londres est le restaurant haut perché de la Tate Modern avec vue sur la cathédrale Saint Paul’s. Quand il traverse le pont de Waterloo, il s’arrête quelques minutes pour observer le panorama, et il se dit qu’il vit dans une des plus belles villes du monde.

Du premier on ne retient que la couleur des yeux. Du second, on retient tout, exactement pour les raisons que souligne Montesquieu. Au premier abord son visage surprend, et puis c’est en pièces détachées qu’il se met à nous plaire : ses yeux (profonds et expressifs), sa bouche (pulpeuse), son sourire (tantôt moqueur, tantôt charmeur), sa voix (ensorceleuse) finissent par nous faire craquer. Le premier est beau, soit, mais il respire l’ennui. Le second est cute et lovely mais il est d’une sensualité torride. J’imagine le premier bafouiller en lisant le menu d’un restau. Le second lit La Métamorphose de Franz Kafka (ici) sur la BBC. Carrément.

1 commentaire:

McdsM a dit…

Tout à l'heure sur France Inter, j'écoutais d'autres yeux bleu piscine: J.d'Ormesson, quelle voix, quel sourire, quel talent ... parfois même ça sent le chlore !