dimanche 5 septembre 2010

Authentique chef d'oeuvre

Hier, au cinéma, j’ai vu et adoré Copie Conforme (Certified Copy) d’Abbas Kiarostami. Juliette Binoche mérite amplement son prix d’interprétation à Cannes. On rit beaucoup (surtout que le personnage masculin principal est anglais, et sa confrontation avec Binoche, qui joue une Française vivant en Italie, est hilarante et jamais clichée). C’est magnifiquement filmé, on reconnaît la patte de Kiarostami, et surtout on réfléchit beaucoup, pendant et après. Ce ne sont pas des questions pesantes, académiques. D’ailleurs, dès qu’un personnage pontifie, son discours est interrompu par une pirouette inattendue et amusante : on peut parler de choses importantes et intelligentes sans jargonner, avec légèreté et le film le démontre. Il est aussi virevoltant que les plis de la robe de Juliette Binoche, les deux personnages jouent à soutenir des points de vue différents, ils sont aussi charmants et convaincants l’un que l’autre, on peut s’identifier aux deux. Un dialogue s’instaure entre les deux acteurs et le spectateur. Nous avons beau être entravés dans nos mouvements, coincés dans notre fauteuil, notre esprit voyage en Toscane et il a des fourmis dans les jambes, comme les personnages toujours en mouvement. On nous permet d’apporter notre grain de sel au débat sur la différence entre l’art et le réel, entre une oeuvre d’art originale et sa copie, sur la reproduction des oeuvres d’art. Pourquoi notre regard change-t-il quand on apprend que tel tableau ou telle statue, n’est pas de la main d’un grand maître mais une copie ? Peut-on la trouver belle ? Peut-on la mettre dans un musée ? Qu’est-ce qu’une oeuvre d’art ? On a notre mot à dire, en premier chef parce que nous sommes les spectateurs de ce film, on questionne notre rôle dans l’aventure d’un film, on nous fait nous questionner sur le cinéma lui-même, sur ce mensonge qui dit vrai. On se sent alors valorisés et nécessaires, un peu artistes. Quelle est la relation entre les personnages ? Viennent-ils de se rencontrer ? Sont-ils mariés depuis 15 ans ? A quel jeu jouent les acteurs ? A quel jeu nous font-ils participer ? C’est une vraie énigme. On ne sait pas à quel saint se vouer. Cela donne envie de se précipiter sur Le Paradoxe du comédien de Diderot. C’est aussi un film qui montre le plaisir qu’il y a à parler plusieurs langues, comment ça enrichit la vie de pouvoir jongler avec les mots et les différentes cultures qu’ils véhiculent. Le linguiste Claude Hagège disait l’autre jour que c’était une hérésie, quand on est amoureux d’une personne dont on ne parle pas la langue, de lui parler en anglais, qu’il fallait obligatoirement parler la langue de l’autre. Mais le plus sensuel n’est-il pas de passer de l’une à l’autre, selon les circonstances ? Quand les personnages se mettent à parler français, ils se disent « tu », ce qui peut surprendre car quand ils se parlent en anglais, il y a une distance. Cette distance réfléchit-elle leur relation (ils viennent de se rencontrer) ou est-ce le fait de la langue anglaise elle-même qui instaure cette distance ? Est-ce que le français permet une plus grande familiarité ou sont-ils mariés ? Et quel est leur relation à l’italien ? J’ai rougi rétrospectivement en pensant à P. qui s’inquiétait de me déranger vendredi en parlant dans sa langue près de moi et qui a ajouté « comme cela tu pourras l’apprendre », il ne parle pas français, on se parle en anglais, et je ne connais que trois mots dans sa langue : bonjour, au revoir et je t’aime... Tout un programme.
Comme c’est bon de sortir d’un cinéma avec une myriade de questions dans la tête ! Le plus important n’étant pas d’y répondre bien sûr. Il faut laisser son mystère à ce film, qu’il reste dans l’inachevé, dans la vie fourmillante. Dans Copie Conforme, Abbas Kiarostami a réussi à faire ce que le sort avait empêché à Jean de Florette : cultiver de l’authentique. C’est le slogan que j’ai trouvé en allant faire mes petites courses ensuite. Dans les allées du supermarché j’aurais tout donné pour tomber sur P... Mais des rencontres fortuites comme cela on n’en voit qu’au cinéma !

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