Dans Le Secret de la Licorne et Le trésor de Rackham le Rouge, le trésor convoité n’est pas situé dans l’Océan Atlantique où on va le chercher mais chez soi, dans sa propre cave. Il suffit d’y mettre le doigt pour le trouver. Comme il suffisait d’ouvrir la malle de Balthazar pour y trouver le fétiche. Le regard du désir est un regard distrait. Il glisse sur le présent, l’ici, le trop-immédiatement-visible, et ne réussit à être attentif qu’à la condition de porter son regard ailleurs. Et puisqu’il est ici question de fétiche, on remarquera que ce sort attaché au regard du désir - de toujours regarder ailleurs, de tout voir hormis ce que l’on cherche à voir – définit le sort de ceux que la psychiatrie appelle précisément des « fétichistes ». Le fétichiste reste froid devant la chose elle-même, laquelle lui apparaît comme muette, incolore, et sans saveur. Il est ému, non par la chose, mais par quelqu’autre chose qui la signale, d’où un refus du présent et de l’ici, c’est-à-dire un refus du réel en général puisque le présent et l’ici en sont les deux coordonnées fondamentales. On ne peut s’intéresser à la fois au fétiche (c’est-à-dire au réel) et à ce que le fétiche est censé représenter (c’est-à-dire au vrai par opposition au double, au faux). Qui cherche le fétiche trouvera le fétiche, mais qui cherche ce que le fétiche représente ne trouvera rien, et en tout cas pas le fétiche. Bref, ne cherchez pas le réel ailleurs qu’ici et maintenant, car il est ici et maintenant, seulement ici et maintenant. Mais si l’on ne veut pas du réel, il est préférable en effet de regarder ailleurs. D’aller voir ce qui se passe sous le tapis ou en Amérique du Sud, ou dans la Mer des Caraïbes, n’importe où pourvu qu’on soit assuré de n’y jamais rien trouver. Car on n’y trouvera jamais que ce qu’on y cherchait réellement, c’est-à-dire précisément : rien.
Le réel et son double de Clément Rosset
(Entendu dans
Les Nouveaux Chemins sur Tintin - France Culture)
A cause de la grève du Tube, la première cliente avait accusé une heure de retard. Puis une autre cliente, qui n’aimait pas ses toutes nouvelles mèches, avait souhaité qu’on lui refasse sa teinture. Bref, arrivée en avance, j’ai attendu environ trois heures avant qu’on ne me « coupe les tifs ». A force d’attendre, je ne savais plus vraiment ce que j’étais venue faire là, dans ce salon tout neuf et si clair, avec ses grands murs blancs, ses orchidées en pot, mauves et blanches, en harmonie avec les tentures en trompe-l’oeil. D’où j’étais assise - près de la porte ouverte, adossée à une grande baie vitrée, la brise me berçant dans une douce torpeur –, j’apercevais un petit jardin avec une table et des chaises, tout au bout d’un couloir. Absente la chaîne hi-fi de rigueur, qui vous casse les oreilles dans les autres salons. A la place on avait installé une petite machine à café expresso. J’avais l’impression d’être devenue invisible. Liz et Andrew étaient tout à leur art, peignant les cheveux d’une cliente à grands coups de pinceaux, enroulant une mèche sur le sommet d’un crâne, égalisant un carré d’un coup de ciseaux. Parfois quelqu’un entrait prendre rendez-vous et repartait aussitôt. On m’a servi un thé, on s’est enquis brièvement de mon bien être, et on m’a de nouveau laissée tranquille. Je ne souhaitais pas être ailleurs que là, dans cette petite rue bigarrée du nord de Londres. J’avais l’impression de faire une retraite dans un monastère tibétain... mais je n’ai pas demandé qu’on me mette la boule à zéro pour autant !
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