Me souvenir de toi,
Oui, des tables de ma mémoire
J’effacerai toute réminiscence, futile et triviale,
Tous les dictons des livres, toutes les formes, toutes les impressions passées
Que la jeunesse et l’observation y avaient copiés,
Et ton commandement seul vivra,
Dans le livre et le volume de mon cerveau,
Pur de tout sujet plus frivole.
Hamlet de Shakespeare (Acte I, Sc. 5)
Oui, des tables de ma mémoire
J’effacerai toute réminiscence, futile et triviale,
Tous les dictons des livres, toutes les formes, toutes les impressions passées
Que la jeunesse et l’observation y avaient copiés,
Et ton commandement seul vivra,
Dans le livre et le volume de mon cerveau,
Pur de tout sujet plus frivole.
Hamlet de Shakespeare (Acte I, Sc. 5)
Avant la pièce, un peu nerveuse, je furetais dans la petite librairie du théâtre. J’avais « des papillons dans le ventre » et j’ai soudain réalisé que j’avais le trac de rencontrer Hamlet, comme si j’avais rendez-vous en tête à tête avec lui, en dehors des murs d’un théâtre, autour d’un café. C’est une pièce bouleversante, pour le spectateur d’abord – ce n’est pas pour rien qu’elle commence par « Qui va là ? » - et pour celui qui incarne Hamlet, c’est un rôle que l’on doit aborder différemment des autres. Si le comédien est en état de grâce, comme Rory Kinnear en ce moment au National Theatre, on peut dire qu’on ressort du théâtre avec un supplément d’âme. Hamlet n’est pas dans le lieu où est sa vie. Il a toujours l’air d’un homme qui vous parle de l’autre bord d’un fleuve. Il vous appelle en même temps qu’il vous questionne (Victor Hugo).C’est difficile de choisir parmi tout ce que j’ai adoré dans cette pièce, mais je crois qu’il y a deux coups de génie dans sa mise en scène. C’est vrai qu’on vient pour voir Hamlet, le personnage. Même si des milliers de comédiens ont endossé son « manteau d’encre », on a toujours l’impression qu’ils ne font que prêter une voix à une enveloppe éternelle, il n’y a qu’un Hamlet. C’est lui qu’on vient voir. Il apparaît pour la première fois dans la scène 2 de l’acte 1. Arrive une foule de personnes sur la scène, parmi elles le roi (qui avait des faux airs de Vladimir Poutine), la reine, Laërte, Polonius, plusieurs gardes... et ce n’est qu’après quelques minutes que le roi s’adresse à un homme assis sur une chaise en lui disant « but now, my cousin Hamlet ». A ce moment-là, on s’aperçoit qu’on n’avait pas du tout prêté attention à lui, que rien ne le désignait comme le personnage principal, le « héros » de la pièce. C’est absolument saisissant, comme si on tombait dans un précipice. Hamlet, moins géant et plus homme, n’est pas moins grand dit Victor Hugo.Et puis l’autre coup de génie c’est quand Hamlet déboule sur la scène vide et comme ça se lance dans le « To be or not to be... ». Dire qu’il arrive à nous surprendre montre combien cette pièce est magique! Ce qui est très émouvant c’est de voir que le comédien « s’éclate » sur scène. J’adore le théâtre parce qu’on est sans cesse dans un va et vient entre l’illusion et la réalité, dedans et dehors, dans l’entre-deux. A un moment donné le comédien est vraiment sur un nuage, il joue pour lui et pour nous, on se sent en communion avec lui, plus rien n’existe entre lui et nous que les mots que Shakespeare a écrits il y a plus de 400 ans, auxquels il donne l’inflexion de sa voix. C’est magique, c’est très puissant, ça fait venir les larmes aux yeux. Qu’est-ce que ça doit être bon pour un comédien de jouer comme ça... Je l’imagine rentrer chez lui épuisé après deux performances comme samedi dernier, surexcité... ça doit apporter une telle satisfaction... ce sentiment extraordinaire que l’on éprouve quand on voit le succès d’un travail qui nous a demandé des efforts et des sacrifices... La mission accomplie.
Comme les dernières photos le montrent, après la pièce (elle dure 3h30), nous avons noyé notre bonheur dans des cocktails délicieux (dont un pris dans un igloo habillée en Esquimau !) et un festin digne d’un roi du Danemark. Plus tard N. a dit, en jetant un coup d’oeil à sa montre: « Il est sur scène ». Quelle justesse, quelle ambiguïté dans ce « il » ! Quel hommage à la fois au comédien et à Shakespeare ! Avec un pincement au coeur j’ai vu dans un éclair une scène bleue, avec un homme vêtu de noir, d’une grâce infinie, qui l’arpentait sous une lumière éblouissante. C’est ainsi que mon esprit avait synthétisé mon Hamlet, avait fabriqué le souvenir de ce Golden Day de mon existence.
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