jeudi 6 août 2009

La lettre morte

Quand on a écrit une lettre importante - c’est-à-dire qui doit arriver à destination, on se trouve, au moment de s’en séparer, dans la peau du poète Ovide, que l’implacable Auguste exila, pour des raisons obscures, à Tomes (aujourd’hui Constanza en Roumanie) chez les « Gètes et les Sarmates inhumains ». Sur le chemin de la poste, dans la file devant le guichet, alors qu’on lui ajoute un timbre aux armes de sa Gracieuse Majesté, jusqu’au moment où, d’un geste auguste – puisque nous sommes en août – nous allons la glisser dans la grosse boîte rouge cylindrique, on s’imagine tels Ovide, sur sa bande de terre balayée par les vents, confiant ses manuscrits à un marchand de passage pour qu’il les emporte, au cours d'un long voyage hérissé de dangers, jusqu’à Rome, dans l’espoir d’attendrir l’empereur. Voilà, nous l’avons postée, mais alors qu’elle vient irréversiblement de tomber dans l’obscurité, à jamais hors de notre portée, nous pouvons prendre encore le temps d’ultimes recommandations tirées de Tristes Pontiques, les mêmes que le poète latin adressait à son livre :
petit livre
hélas
va sans moi dans la ville où je suis interdit
va
salue pour moi les lieux que j’aime
tes pieds me porteront à leur rythme dans Rome
va mon livre
vois Rome pour moi
contemple-la
dieux
je voudrais être mon livre
va
pauvre livre
je ne veux plus te retarder
si tu devais porter tout ce que j’ai en tête
tu pèserais trop lourd pour le voyage
la route est longue
moi je dois demeurer au bout du monde
dans une terre loin de ma terre

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