samedi 31 janvier 2009

Iwachimizu Hachiman-gu: Sur les traces de Nijō

Vers la lune des Doubles Vêtures, sur mon chemin de retour vers la capitale, j’allais faire mes dévotions en passant au sanctuaire de Yawata. Longue était la route, de Nara à Yawata, et ce n’est qu’au coucher du soleil que j’arrivai à destination. Je fis l’ascension du Groin du sanglier (nom de la pente raide qui mène au Mont de l’Homme – Otokoyama – sur lequel est installé le sanctuaire) en direction du pavillon Sacré. Je constatais alors que le pavillon qui faisait face aux écuries état ouvert. Je m’enquis alors : « Quel est donc l’hôte de ces lieux ? » L’émissaire me répondit : « L’ancien empereur retiré du palais de Tominokōji est en visite en ces lieux. » Cette révélation me laissa muette de surprise. Pendant toutes ces années, mon coeur ne l’avait point oublié.

Dame Nijō, 1291

Demachiyanagi – Jingu – Marutamachi – Sanjo- Gion – Shijo – Kiyomizu – Gojo – Shichijo- Tofukuji – Toba - Kaido – Fushimi Inari – Fukakusa – Fujinomori – Sumizome – Tambabashi – Fushimi Momoyama – Chushojima – Yodo – Yawatashi...

Je trouve jolis les noms des villes japonaises. En les égrenant, ils me font faire un voyage parallèle à la voie de chemin de fer, ils me font prendre la tangente. Gion m’évoque les Geishas. Kiyomizu un coucher de soleil. Fushimi Inari Kitsune le renard, messager de la déesse Inari. Fukakusa est le nom de l’empereur, amant de Nijō. Aperçoit-on la montagne sacrée de la ville de Fujinomori? Y a-t-il encore une île dans celle de Chushojima ? Mais nous voici à Yawata dont les kanjis signifient: « Huit bannières ». Nous sommes le premier jour de l'hiver.Il faut sortir de la gare et prendre le funiculaire qui nous mène jusqu’à la station Otokoyama Sanjo, tout en haut de la montagne. Je n’étais pas seule dans le tortillard : à part le conducteur, il y avait un grand-père et son petit-fils. Quelle chance de pouvoir faire sa promenade du dimanche au sommet du Mont Otoko !
En chemin, alors que nous traversions tunnel après tunnel, dans notre ascension, j’ai pensé aux films de Hou Hsiao-hsien, aux trajets en train de ses personnages d’un coin à l’autre de Taïwan. Pauvre Dame Nijō qui n’avait que ses pieds ! Michitsuna no Haha, elle, quelques siècles plus tôt, avait quand même son palanquin et ses énormes boeufs pour l’amener à destination !
La dernière fois que j’avais pris un funiculaire, je devais avoir 10 ans. Nous allions en famille visiter les Grottes de Betharram près de Pau. J’avais eu très peur. Et ce nom de funiculaire m’avait toujours fait froid dans le dos. Ce n’est plus le cas ! C’est un joli comité d’accueil que nous trouvons au sortir de la gare. Le silence dans lequel baigne la montagne n’est troué que par les chants d’oiseaux, les scies des bûcherons et le chuintement de l’eau, omniprésente.
Il faut continuer à grimper avant d’atteindre l’entrée du sanctuaire.

La végétation des deux côtés du chemin avait des allures de jungle. Les bambous coupés et tombés en vrac, me faisaient penser à des baguettes d’un jeu de mikado géant.Nous n’étions que 3 visiteurs: le grand-père, son petit-fils et moi. Je me demandais si le pavillon où Nijō avait passé la nuit avec l’Empereur Fukakusa avant que l’aube ne les surprenne, était encore debout. Où était-il ? Mais n’est-ce pas un peu puéril de penser à ce qui s’était passé il y a 8 siècles ? Qu’importe ! Cette histoire d’amour d’antan colorait ma visite et la rendait encore plus excitante. Surgissant d’un pavillon niché dans la bambouseraie, des moinillons sont apparus, tout de blanc vêtus, portant sur leurs frêles épaules un immense tronc de bambou. A une de ses extrémités on avait attaché l’embout d’une flèche : le dieu Hachiman est celui de la guerre. Devant eux, l’air martial, juché sur d’étranges chaussures de bois noir laqué à faire pâlir d’envie toutes les fashionistas de la terre, un Grand Prêtre, l’air martial, se pavanait en tenue de cérémonie rose saumon et parme. Cette petite procession s’arrêta devant le pavillon principal où les attendaient d’autres moines qui entreprirent de redresser la flèche. Cette cérémonie se répéta deux fois, aux accents de prières entonnées par des moines que je ne voyais pas. J’ai fait le tour du sanctuaire en admirant ses célèbres lanternes de bronze. Visiblement, le temple faisait peau neuve avant les fêtes de la nouvelle année.

J’ai quitté le Iwashimizu Hachiman-gû à regret... Je serais bien restée toute la journée à observer les allées et venues des moines. Moi aussi j’aimerais y faire une retraite, le temps de recopier des sutras, comme mon héroïne... mais vu ma façon d’écrire les kanjis, le sanctuaire risquerait de devenir ma résidence permanente !

vendredi 30 janvier 2009

Iwachimizu Hachiman-gu: l'échassier

les oies sauvages
au ras des rails du chemin de fer
nuit de lune

Shiki
Ce matin-là, j’avais pris la ligne Ōtō de la compagnie Keihan en direction de la ville de Yawata, dans le sud de Kyoto – partie allègrement de l’hôtel, j’avais perdu un peu de ma superbe en mettant une plombe à trouver la gare de départ (qui était bien sûr à deux pas...). J’allais à l’Iwashimizu Hachiman-gu. La photo ci-dessus est prise du sanctuaire en question, perché sur le Mont Otoko.
Nous approchions de Yawatashi. Le train surplombait une plaine striée de nombreux canaux. Je pensais à ma vie, à la vie en général, à Londres, et mesurais la chance que j’avais d’être dans ce train, aussi libre qu’on puisse l’être, à quelques minutes de visiter un lieu que je mourrais d’envie de voir depuis belle lurette.
Soudain, en regardant par la fenêtre du train qui passait bruyamment sur un pont, mon regard prit sur le vif l’envol d’un échassier. Peut-être de la même espèce que celui-ci qui s’ébat dans le jardin de Shinjuku. Mais le mien était noir.
Solitaire, en ligne droite, au dessus d’un canal bordé de roseaux, le gracieux oiseau s’est élevé, ses pattes fines, frôlant l'eau, y dessinaient des ronds de plus en plus ténus au fur et à mesure de son échappée aérienne. Il ne m’en fallut pas plus pour comprendre le sens de ma présence en ces lieux.

jeudi 29 janvier 2009

Paillettes d’or dans oeil charbon

Certes, visiter le Pavillon d’Or était mon rêve depuis des années. A mesure qu’approchait le temps où j’allais enfin me trouver devant la merveille, je sentais mes hésitations grandir. Quoi qu’il advînt, il fallait que le temple d’Or fût splendide. Je misais donc non pas tant sur sa beauté intrinsèque que sur ma propre aptitude à imaginer cette beauté. Pareil à la lune dans le ciel nocturne, le Pavillon d’Or avait été édifié comme un symbole des temps de ténèbres. Pendant le jour, l’étrange vaisseau jetait l’ancre avec un air d’innocence, se soumettant aux regards curieux de la multitude ; mais, la nuit venue, puisant dans les ténèbres d’alentour une force neuve, il enflait son toit comme une voile et gagnait le large. La beauté était donc quelque chose qui pouvait être touché du doigt, clairement reflété par l’oeil.
Le pavillon d’Or de Yukio Mishima
La première fois que je suis allée à Kyoto, fin août 2005, cette ville n’existait dans mon imaginaire que par le Pavillon d'Or du Kinkaku-ji tel qu’en parle Yukio Mishima dans son roman. Et encore... j’avais lu ce livre au moins 15 ans auparavant, sans rien y comprendre.
C’était un dimanche, il faisait si beau et si chaud, le soleil était si insistant, que plusieurs jours après mon retour à Londres, le hâle acquis ce jour-là subsistait encore sur mon visage. Kyoto avait gardé toutes ses beautés pour elle, ne dévoilant que celles du Pavillon d’Or, dans son écrin de verdure, enchâssé entre ciel et eau.
Malgré son soleil éclatant, Kyoto m’avait parue froide, inhospitalière, hostile. C’est que je ne voyageais pas seule en 2005 et, mis à part cette visite au Pavillon d’Or – c’est un endroit impressionnant, fabuleux dans tous les sens du termes, que l’on s’attende à être émerveillé ou pas, et face à ce bijou on est seul, le silence se fait en soi, on ouvre tout grand les yeux et on fait abstraction du reste - , toute cette visite à Kyoto en 2005 est émaillée d’agacements, d’amertumes, de rages rentrées.
Mais, en décembre 2008, j’ai eu le coup de foudre pour Kyoto, où je vais sûrement passer le plus clair de mon temps à la fin de cette année, et ma visite au Pavillon d’Or, le lendemain de mon arrivée, a été sublimée par ce que j’en avais appris depuis 4 ans, et surtout par la scène suivante, tirée d’un livre que j’adore :

Dans l’espoir d’avoir des nouvelles de la santé de Sa Majesté, je me rendis au Saion-ji. Je me fis annoncer en ces termes : « Je suis une personne qui servait autrefois au palais. Veuillez transmettre au maître de céans que je souhaite le rencontrer, ne serait-ce qu’un bref instant. » Finalement, à la nuit profonde, un serviteur du nom de Haruo apparut, qui reçut ma lettre et me transmis ce message de son maître : « Est-ce la faute des ans ? Je ne suis plus sûr de mes souvenirs. Revenez me rendre visite le jour d’après-demain. » Je fus saisie d’une joie que je ne m’expliquais point moi-même.
Splendeurs et Misères d’une favorite de Dame Nijō
Le Saion-ji est le temple érigé sur leur propriété de Kitayama - le site de l’actuel Pavillon d’Or - par la prestigieuse et puissante famille Fujiwara. Dame Nijō souhaite parler à Sanekane, son ancien amant qu’elle surnomme Aube de neige dans son Journal.

Ce désir de retourner à Kyoto et d’en poursuivre son exploration et celle de ses environs, renaît de ses cendres avec ce billet, comme le Phénix du toit du Pavillon d’Or, capturé dans un envol éternel.

mercredi 28 janvier 2009

La photographie: métier de « piéton solitaire »

J’aime les confidences des photographes sur leur métier. Je me souviens de mon premier appareil photo et surtout de son flash, qu’on devait acheter à part et fixer sur l’appareil. Je l’avais utilisé, peut-être pour la première fois, lors d’une visite du Zoo d’Aïn Sebaa - une ville proche de Casablanca – avec ma classe. J’ai encore les photos de ces pauvres lions de l’Atlas et de quelques malheureux singes dans leurs cages sous un soleil ardent.
En fait, je ne prends vraiment de photos – j’ai envie de prendre des photos, j’éprouve le besoin de prendre des photos – que depuis un an environ.
Les propos de Willy Ronis qui suivent, sont illustrés – ce mot n’est pas juste, loin de moi de souligner de quelconques correspondances entre son art et mon amateurisme - par des photos de la roue qui se trouve sur l’île d’Odaiba dans la baie de Tōkyō. J’ai pris ces photos du bus qui m’amenait à l’aéroport de Narita, le 5 janvier dernier. Il était presque 7h du matin et j’étais submergée par le chagrin du départ. Je m’accrochais à cette roue de toutes mes forces, et il a bien fallu qu’à un moment, mon oeil lâche prise. Ce n’est que quand elle disparaît de mon champ de vision que j’estime que j’ai quitté le Japon et que commence le travail de deuil. J'ai rangé mon matériel le jour où j'ai constaté que je ne pouvais plus gambader dans Paris, grimper sur une caisse pour avoir le meilleur angle de vue ou traverser une rue en courant. Je travaille avec la sensibilité et l'émotion. Jean-Sébastien Bach a constitué pour moi une source constante d'inspiration : il m'a appris la rigueur dans la composition, les fugues et le contrepoint, une forme très châtiée et bien cadrée qui m'impressionne toujours profondément. Ces superpositions de plusieurs mélodies sont d'ailleurs souvent présentes dans mes photos.
Ce sont les peintres flamands qui m'ont donné le sens de la composition. La première fois que j'ai pénétré dans les petits cabinets qui se trouvent de part et d'autre de la galerie des Rubens, au Louvre, j'ai ressenti une émotion profonde. Je me suis senti chez moi : ces scènes ne représentaient pas des gens riches, nobles, laissant leur empreinte dans l'Histoire, mais des scènes de kermesse, de patinage sur des canaux gelés, la petite bourgeoisie, des bistrots, des artisans. Je me sentais en sympathie avec cette population-là. J'ai toujours fait mes photos dans l'instant. Sans mise en scène. J'ai fait de la photo buissonnière toute ma vie. Les plus reproduites sont des clichés que j'ai pris en marchant, au hasard. Certains jours, je rentrais chez moi sans avoir appuyé une seule fois sur le déclencheur. C'était douloureux. J'ai toujours été fasciné par l'aléatoire. Je n'ai jamais travaillé avec le numérique. Certes, c'est plus facile, il n'y a pas le risque de rater l'acmé, le moment de paroxysme, l'instant idéal pour lequel on se retenait et que l'on finissait parfois par manquer. Je pense qu'une image se mérite.
Willy Ronis à L’Express (11.12.08)
En passant devant la roue d’Odaiba, en lui jetant un ultime coup d’oeil, je me suis demandé si c’était la même que j’avais photographiée à Noël. Je savais bien sûr parfaitement que c’était la même, et cette question que je me posais n’était qu’un moyen qu’avait trouvé mon coeur, lourd de tristesse, de m’empêcher d’éprouver le moindre regret pour les jours passés. Peine perdue, je la trouve encore plus belle au naturel, dépouillée de ses illuminations accroche-l’oeil, dans la lumière rose orangée du lever du jour. Point de regrets: cette pauvre tentative a le mérite de me projeter dans l’avenir, vers le prochain séjour et de sécher mes larmes.

mardi 27 janvier 2009

C'est de nouveau le nouvel an: pour J.H.

The year begins
on New Year's day
our life is Now

Masaoka Shiki (1867-1902)


Le livre parlait de l’ Ecole du Bouleau Blanc que créèrent en 1910 un groupe de jeunes écrivains japonais de bonne famille. Ils publièrent un magazine littéraire - Shirakaba (Le Bouleau Blanc)- auquel ils mirent fin après le Grand Tremblement de Terre de 1923. Ils souhaitaient, par leurs écrits, aller à l’encontre de la littérature de leur temps et mettre en avant l’humanisme et les aspects positifs de la vie. Le livre citait des noms d’écrivains que je n’avais encore jamais rencontrés auparavant : Shiga Naoya, Mushanokoji Saneatsu, Kan Kikuchi. Ce dernier, un homme généreux, mit le pied de Kawabata à l’étrier. J’ai passé toute la journée à fouiller dans la littérature japonaise de l’ère Meiji et Taisho, à faire du cloche-pied de nom de romancier en nom de poète.
Et puis, je ne sais plus vraiment comment, peut-être est-ce grâce au poète Sasaki Nobutsuna, que je suis tombée sur Masaoka Shiki, le père du haiku moderne. Il passa une grand partie de sa courte vie sur un lit de douleurs – il souffrait de tuberculose - mais sans perdre de sa légèreté et de son humour. Dans sa jeunesse il était très bon au baseball. Un de ses meilleurs amis était Sōseki avec qui, lors d'une longue convalescence, il partagea une maison. Il a l’air d’avoir une personnalité très attachante.
J’aime la sonorité de ces noms, j’aime le fait de découvrir comme un nid d’écrivains pour lesquels il va falloir batailler si on veut trouver un des livres vu que la plupart ne sont pas ou plus traduits ici, j’aime l’idée qu’il y a des milliers de choses à découvrir et que parmi elles se cachent des pépites qui vont m’apporter un plaisir infini.

One fell,

- two fell,

- camellias.

Shiki


C'est une photo prise dans l'enceinte du Pavillon d'Argent à Kyoto.
un mangeur de kakis
qui aimait les haïkus
souvenez-vous ainsi de moi

Shiki

lundi 26 janvier 2009

Rakushisha: qu’est-ce que c’est que ça ?

Un ami m’a guidée, dans une banlieue de Kyoto, vers ce qui fut l’une des dernières étapes de Bashō, la maisonnette d’un ami que l’hébergea vers la fin de sa vie : Rakushisha, la « maison des kakis tombés à terre ». Coquille à demi éclatée, cette maisonnette fait penser à la légère dépouille d’une cigale. Bashō lui-même l’a décrite dans la saison des pluies : « La retraite de mon disciple Kyoraï se trouve parmi les bosquets de bambous de Shima Saga, non loin du pont Arashi, et de la rivière Ōi. Feutré de silence, c’est un lieu idéal pour la méditation. » A côté de la porte, on a suspendu à un clou un grand chapeau rond de pèlerin.
Le Tour de la prison de Marguerite Yourcenar
Avant d’arriver devant ce champ de choux, je ne sais pas combien de fois j’avais demandé mon chemin....
Munie d’indications parcellaires et d’une carte qui situait la Rakushisha au beau milieu d’un no man’s land, près de tout les temples célèbres des alentours mais n’indiquant aucun chemin précis pour s’y rendre, je me suis évidemment perdue.
Perdue ? pas vraiment : ce verbe ne s’applique pas à cette promenade inédite à travers bambouseraies ou champs de susuki, qui m’a fait emprunter des chemins jalonnés de temples que des personnages historiques qui peuplent mes lectures et mon imaginaire ont fait bâtir, où ils ont vécu, et où ils sont, pour certains, enterrés. C’est au moment où je baissais les bras et m’apprêtais à quitter les lieux, qu’un couple à qui j’avais demandé mon chemin – la Rakushisha et son célèbre visiteur ne leur disaient absolument rien - m’a appelée en me désignant, rigolard, un bâtiment recouvert d’une bâche et fermé aux visiteurs.Un coup d’oeil à la plaque m’a confirmé qu’il s’agissait bien de la Rakushisha à laquelle j’avais rêvé pendant des mois. Que je ne puisse pas y jeter un coup d’oeil ne m’a pas trop déçue et d’autres ont eu cette joie (ici, ici et ici). Alors je m'en contente pour l'instant.Ce qui m’a fait rire c’est que le champ de choux s’étalait devant sa porte et que je l’avais donc eue sous les yeux et photographiée dès que j’avais débouché dans ce coin champêtre. J’avais donc tourné en rond et fait des kilomètres dans la campagne pour rien... enfin, façon de parler...
L’arbre aux kakis n’était pas d’époque, j’en suis bien consciente, mais voir ces beaux fruits m’a permis d’imaginer le spectacle qui attendait Kyoraï le lendemain de la tempête qui les fit tous s’écraser sur le sol. Malgré tous ces imprévus, cette visite , somme toute, ne m’aura pas laissée sur ma faim !

dimanche 25 janvier 2009

Federico Matsuo García Bashō Lorca

Réveille-toi, réveille-toi
et deviens mon compagnon
papillon qui dort

La lune pique la mer
d’une longue corne claire.
Le ciel flotte sur les airs,
immense fleur de lotus.

Quel est le poème de Bashō ?
Quel est celui de Federico García Lorca ? La statue du poète sur les rives de la Sumida
Quand le bateau longe le quartier de Fukagawa et que je reconnais au loin l’emplacement de l’ermitage au bananier du poète Matsuo Bashō (1644-1694) à l’ombre du petit musée qui lui est consacré, ainsi que sa grande statue de bronze un peu plus loin, au bout d’une promenade illustrée d’images du quartier au 17e siècle, je me mets à penser aux difficultés que j’avais eues à trouver cet endroit par voie terrestre, un jour gris d’avril 2007. Je me souviens qu’il n’y avait pas un chat dans les rues ni sur le rivage.
Peut-être sa poésie détient la clé de mon attachement pour le Japon. Elle me renvoie étrangement à mes racines andalouses, aux paysages dans les environs de Grenade, aux poèmes de Federico García Lorca. Mes vacances au Japon sont peut-être une projection fantas(ma)tique de celles que j’ai passées dans la province de Grenade à quelques encablures du berceau historique de ma famille, pendant de longues années. Elles réactivent des sensations et des impressions reçues dans mon enfance au Maroc et en Espagne. Elles seront toujours estivales quelle que soit la saison, idylliques, et fondatrices. Au fait, le premier poème est de Bashō et le second de Lorca... mais le contraire ne m'aurait pas étonnée!

samedi 24 janvier 2009

Cet oiseau vaut bien un fromage, sans doute ?

Souvent sur la place, quand nous rentrions, ma grand’mère me faisait arrêter pour regarder le clocher de Saint-Hilaire. Des fenêtres de sa tour il laissait tomber à intervalles réguliers des volées de corbeaux qui, pendant un moment, tournoyaient en criant, comme si les vieilles pierres qui les laissaient s’ébattre sans paraître les voir, devenues tout d’un coup inhabitables et dégageant un principe d’agitation infinie, les avait frappés et repoussés. Puis, après avoir rayé en tous sens le velours violet de l’air du soir, brusquement calmés ils revenaient s’absorber dans la tour, de néfaste redevenue propice, quelques-uns posés çà et là, ne semblant pas bouger, mais happant peut-être quelque insecte, sur la pointe d’un clocheton, comme une mouette arrêtée avec l’immobilité d’un pêcheur à la crête d’une vague.

Combray de Marcel Proust
Une fois le jardin Hamarikyu arpenté, une fois ses limites – la baie de Tokyo – atteintes, nul besoin de rebrousser chemin : la meilleure porte de sortie est maritime, comme je l’ai illustré ici. Mais, avant de prendre la clé des champs aquatiques, quelques instants avant de payer votre écot à la compagnie Suijo, vous devrez sacrifier à un rite de passage administré par cet oiseau dont ici ou on vente le plumage et le ramage : je veux parler bien sûr de Monsieur du Corbeau.
On ne peut le comparer à Charon - la Sumida n’est ni le Styx, ni le Léthé (au contraire, elle avive les souvenirs) – ni au Chevalier Noir ou au Samouraï qui, dans certaines légendes médiévales, bloquaient l’accès des ponts aux pèlerins égarés et qu’il leur fallait vaincre s'ils souhaitaient continuer leur chemin (celui de Sacré Graal des Monty Pythons est hilarant). Le flatter, tels de vils goupils de fable, ne vous mènerait à rien : contrairement à son lointain frangin littéraire, il repousse d’un coup d’aile et d’un cri puissant flagorneries et autres courbettes. Puis, il est perché trop haut, comment voudriez-vous arriver à lui graisser la patte ? La première fois que je me suis promenée dans ce jardin, en 2005, j’avais remarqué, au détour d’une allée de terre battue, un arbre où se profilait un noble corbeau qui accueillait à grands cris les candidats au voyage sur la Sumida. On aurait dit un dessin à l’encre de Chine, et ne manquaient que quelques vers pour compléter tout à fait le tableau. Depuis, chaque année, au même endroit, cette scène se répète pour moi. J’étais heureuse de le retrouver, fidèle au poste, lui ou un autre de ses congénères... J’ai montré patte blanche, et je suis passée. Mon voyage vers Asakusa pouvait se poursuivre en toute quiétude.