mardi 26 août 2008

Jours d’Hiver de Kihachirō Kawamoto – 1/36


It is August. Let us go into the corn-fields to see if the corn is almost ripe. (...) Farmer Diggory! you must bring a sharp sickle and cut down the corn (...) . Carry it to your barn to make bread. Sing Harvest home! Harvest home!

Lessons for Children de Anna Laetitia Barbauld (1778)


Nous sommes encore en été, mais j’aimerais vous parler de l’hiver... En mai j’ai vu au Barbican Centre une rétrospective des films d’animation de Kihachirō Kawamoto. Unique occasion de voir - et de découvrir - certaines de ses oeuvres en Angleterre... Voici l'épisode 1 de Jours d’Hiver: ICI. Pour moi, 2'52 de beauté absolue et cela, quel que soit votre niveau de japonais.

Un renku, forme poétique japonaise, est une sorte de « train » de haïkus avec trente-six wagons accrochés entre eux par une « réponse » au précédent, une association d'idées. Un genre de marabout d'ficelle très sophistiqué, élaboré par plusieurs au­teurs. Kihachiro Kawamoto, célèbre animateur spécialisé dans les marionnettes, a eu la ri­che idée de transposer à l'écran ce procédé littéraire classique, à partir d'une oeuvre de Basho, célèbre poète nippon du XVIIe siècle. Il a coordonné ce long poème visuel et invité certains des plus grands noms de l'animation à se donner la réplique en toute liberté.

Cécile Mur, Télérama, 20.10.07

Le résultat, d'une enchanteresse étrangeté, vaut vraiment la peine d'être découvert. Parce que quelques-uns des plus talentueux animateurs du monde y ont participé (du Russe Youri Norstein au Belge Raoul Servais, en passant par le Tchèque Bretislav Pojar et le Japonais Takahata Isao), mais surtout pour la richesse et la diversité de formes et de genres qui émane de cette expérience. Animation traditionnelle et images de synthèse, animation de poupées et travail à l'encre de Chine donnent ainsi forme à des dessins d'une fabuleuse inventivité, qui couvrent un vaste registre allant du lyrisme au burlesque, de la naïveté enfantine au fantastique le plus sombre.

Jacques Mandelbaum, Le Monde, 16.10.07

La suite au prochain numéro!

dimanche 24 août 2008

Chassés-croisés

Je me suis retrouvée un jour, par hasard, au Musée des Beaux-Arts de São Paulo, face à la toile de Manet qui représente Pertuiset posant devant la dépouille d'un lion, et me suis souvenu d'avoir déjà croisé ce personnage, un quart de siècle auparavant, dans un livre qui racontait son exploration en Terre de Feu, en 1873. Je me suis dit alors : ce tableau, ce personnage me cherchent, je dois absolument en faire quelque chose.
Olivier Rolin, Télérama, 20.08.08


Avant de pénétrer dans les salles consacrées à l’expo Paris du monde entier : Artistes étrangers à Paris 1900-2005, je sortais d’une expo sur Manet, qui se tenait dans le même musée, le National Art Centre de Tokyo - le bâtiment ondulé à droite de la photo, prise du Mori Museum à Roppongi d’où on a une belle vue sur la ville et la baie.

Il y avait de quoi avoir le tournis : admirer à Tokyo des toiles d’artistes japonais - entre autres - installés à Paris, tableaux provenant du Centre Georges Pompidou et que je n’avais jamais vues à Paris.

Et puis je suis tombée sur cette toile de Foujita, peinte en 1949 à Montparnasse, et intitulée simplement « Au Café » : j’ai été émue aux larmes. Et mon coeur se serre encore en pensant à cette émotion incroyable que j’ai eue à l’époque. La carte de gauche vient de Tokyo, de la boutique du musée, et celle de droite de Paris, mon magasin de cartes préféré qui se trouve aux Halles, juste en face du Centre Georges Pompidou. On peut y déceler quelques différences au niveau de la couleur, et de la taille: celle de Paris est plus large et plus nette et celle de Tokyo, plus pâle, a de plus grandes marges.


J’avais acheté à Paris la reproduction de ce tableau, sans vraiment la regarder et en gardant la carte pour moi. Je crois qu’à l’époque je me projetais déjà dans cette jeune femme qui faisait sa correspondance, écrivait son Journal ou bouquinait dans un café, et qui reste là, perdue dans ses pensées.

Si à Tokyo mon coeur s’est serré devant le tableau lui-même, c’est d’abord parce que j’ai réalisé que j’étais au Japon justement, et je me suis vraiment sentie dépaysée. Il y a eu comme un télescopage du temps et de l’espace. Oui, j’ai eu le vertige. Mais c’était un sentiment exaltant. Si ce tableau m’a émue, c’est parce que j’ai vu, pour la première fois, la lettre sur la table, les taches d’encre sur le buvard : peut-être est-ce une lettre de rupture et des larmes ont coulé sur le papier ? J’ai pris en plein coeur la mélancolie qui se dégage pour moi de cette toile et de son personnage. Je me suis dit que si elle m’avait plu au départ, c’était surtout parce que j’étais moi-même triste à l’époque. C’est triste de penser qu’on a été aussi triste, presque à son insu, et émouvant de s’apercevoir le chemin parcouru depuis.

vendredi 22 août 2008

En voiture, Simone!


- Où va Monsieur ?
- Je n’en sais rien, loin d’ici seulement ! Loin d’ici et toujours loin d’ici, seule façon d’atteindre mon but.
- Tu connais donc ton but ? dit cet homme.
- Oui, répliquai-je, puisque je te l’ai dit ; loin d’ici, voilà mon but.

Le départ de Franz Kafka


Ce matin j’ai acheté mon billet pour Tokyo : 3 semaines entre décembre et janvier. Comme à chaque fois, cela m’effraie et me fait plaisir à la fois... Je veux visiter Kyoto et Nara, Kamakura, et prendre des trains, plein de trains, parce que je crois qu’une des choses les plus merveilleuses au monde – et je pèse mes mots ! – c’est quand vous devez « rentrer à Tokyo », rien que le fait de dire ça, c’est incroyable. Je ne sais pas pourquoi. Des fois je me demande : mais pourquoi a-t-il fallu que tu t’entiches de Tokyo... pourquoi pas de Madrid ? de Porto ? de Berlin ? Pourquoi cette ville si lointaine? Parce qu’elle me bouscule, sûrement. Je me crois timide, casanière, et trouillarde, et là-bas, ce sont des mots qui n’existent pas !

Rentrée Littéraire à distance

Un tapir de bibliothèque


Une immense bibliothèque ressemble à la ville de Paris, dans laquelle il y a près de 800 000 hommes : vous ne vivez pas avec tout ce chaos; vous y choisissez quelque société, et vous en changez. On traite les livres de même : on prend quelques amis dans la foule. (...) L’homme de goût ne lit que le bon, mais l’homme d’Etat permet le bon et le mauvais. (...) Un roman médiocre est (...) parmi les livres ce qu’est dans le monde un sot qui veut avoir de l’imagination. On s’en moque, mais on le souffre.

Voltaire, Correspondance, 20 juin 1733

Je suis contente que Catherine ait fureté au Furet du Nord à Lille, le jour de la sortie du dernier Christine Angot ! (Merci Catherine !) Et qu’elle ait déniché sur les étagères Seule Venise de Claudie Gallay pour lequel Gwen m’avait mis l’eau à la bouche ! (Merci Gwen !) Mais pourvu qu’elle n’ait pas ramené le dernier Amélie Nothomb qui me donne déjà des boutons !

J’ai campos pour quelques jours comme disait Madame de Sévigné – je suis tombée sur quelques-unes de ses lettres dont je m’étais régalée en les lisant dans leur entier il y a 2 ou 3 étés : quelques jours de répit, de vacances, de tranquillité.

jeudi 21 août 2008

Le Songe d’une nuit d’été

Quelles mascarades, quelles danses aurons-nous pour passer ce long siècle de trois heures qui doit s’écouler entre l’après-souper et le coucher ? Où est l’intendant de nos plaisirs ? Quelles fêtes nous prépare-t-on ?
Thésée, Acte IV, Sc. 1
C’était la première fois que j’allais au Shakespeare’s Globe Theatre qui se tient, depuis 1997, à 230m de l’emplacement du premier « Théâtre du Globe » de 1599. Je suis allée voir A Midsummer’s Night Dream, écrite par Shakespeare en 1594 (ICI).
Les sièges en bois étaient très étroits. Certains, plus prévoyants que moi, s'étaient munis de coussins. J’étais assise tout en haut, sous le toit de chaume, et j’avais une vue plongeante sur la scène – le miroir de l’eau comme on appelle en Chine les scènes de théâtre sur lesquelles la vie réelle se reflète – et le pit, où les spectateurs regardent la pièce debout. Ces pauvres groundlings ne picoraient pas de noisettes ni d’oranges comme jadis, mais ils se sont pris un violent orage sur la tête en pleine représentation: quand Nick Bottom, le tisserand d’Athènes, acteur du dimanche qui joue le rôle de Pyrame - un « amoureux qui se tue galamment par amour » - s’écrie : « Pour bien jouer ce rôle, il faudra quelques pleurs. (...) Je provoquerai des orages », tout le monde a éclaté de rire et personne ne lui en a voulu !
Devant moi se trouvaient deux filles. Quand, au sujet de Démétrius, Hernia se lamente ainsi: « Plus je le hais, plus il me poursuit », et que Héléna soupire: « Plus je l’aime, plus il me hait », elles se sont regardées d’un air entendu. J’en ai déduit qu’elles devaient connaître des amours aussi inconstantes que celles évoquées par les comédiens sur scène!
Pendant la nuit de la Saint-Jean, les fleurs avaient des pouvoirs magiques et s’ils les cueillaient ou les respiraient, les hommes se trouvaient pris de folie. Ce n’est pas tant ce thème de la folie amoureuse qui m’a intéressée, que celui du brouillage entre l’illusion et la réalité et l'incessant va-et-vient entre les deux: sur scène, entre le monde des fées et la Cour d’Athènes; entre les comédiens et les spectateurs; mais aussi entre le XVIIe siècle et le XXIe: le théâtre où je me trouvais n'était-il pas lui-même une illusion? On ne connaît presque rien sur les dimensions de celui de Shakespeare, si ce n'est son extérieur qui apparaît sur une célèbre gravure de 1647.
Le point d’orgues du Songe d’une nuit d’été est la pièce dans la pièce, une farce très tragique intitulée Courte scène fastidieuse du jeune Pyrame et de son amante Thisbé, donnée par une troupe d’amateur au mariage de Thésée, le duc d’Athènes. Les pauvres Bottom, Lecoing (Quince), Flûte (Snout), Etriqué (Snug) et Meurt de faim (Starveling – il ne faisait que grignoter) se feront étriller par la Cour mais nous, spectateurs, nous comprenons bien que cette farce est surtout le miroir déformant du Songe.
Je ne connais pas le nom des comédiens du Songe d’une nuit d’été de ce soir-là et pour quelles raisons celui-ci, plutôt que cet autre, s’est vu attribuer tel ou tel rôle. Mais je sais tout de la farce, ses coulisses et ses ficelles. Contrairement à la sobriété du Songe, le navet de Bottom et de ses piètres compères, est surchargé d’accessoires en tout genre, ses moindres actions nous sont expliquées par le menu - au risque de détruire l’accord tacite entre le spectateur et le comédien qui fait que l’on accepte qu’Obéron, le roi des fées, soit invisible puisqu’il nous le dit ! Shakespeare s’amuse de nous car ce sont des comédiens amateurs ridicules qui nous donnent une magistrale leçon de théâtre ! Et ça, j’ai adoré. Comme j’ai aussi aimé m’esclaffer avec les autres : voir les gens se tenir les côtes et rire à l’unisson (le rire au théâtre – en plein air de surcroît - me semble plus communicatif qu’au cinéma) fait un bien immense. En riant, et en regardant les autres se gondoler, j’ai pensé aux spectacles de rue, aux pièces données sur des tréteaux de fortune.

Les rapides dragons de la nuit fendent les nuages à plein vol, et là-bas brille l’avant-coureur de l’aurore. A son approche, les spectres errant çà et là regagnent en troupe leurs cimetières : tous les esprits damnés, qui ont leur sépulture dans les carrefours et dans les flots, sont déjà retournés à leurs lits véreux. Car, de crainte que le jour ne luise sur leurs fautes, ils s’exilent volontairement de la lumière et sont à jamais fiancés à la nuit au front noir.
Puck, Acte III, Sc. 2
Les costumes me faisaient penser à ceux de Peau d’Ane de Jacques Demy : de loin ils font illusion et semblent somptueux. Quand on les regarde de plus près, ce n’était que des assemblages de bric et de broc, sûrement usés par maints comédiens avant leurs propriétaires éphémères d’un soir.
La nuit était noire et humide. Du Millenium Bridge on apercevait la rive gauche de la Tamise plongée dans l’obscurité. Seul le Globe brillait de mille feux, des feux de lumières s’en échappaient, rougeoyants, comme si nous étions en 1666 en plein incendie de Londres. En face de moi, le dôme de la Cathédrale Saint Paul’s baignait dans une lumière étrange qui tirait sur le mauve. J’étais vraiment heureuse.

Ombres que nous sommes, si nous avons déplu, figurez-vous seulement (et tout sera réparé) que vous n’avez fait qu’un somme, pendant que ces visions vous apparaissaient. Ce thème faible et vain, qui ne contient pas plus qu’un songe, gentils spectateurs, ne le condamnez pas ; nous ferons mieux, si vous pardonnez. Oui, foi d’honnête Puck, si nous avons la chance imméritée d’échapper aujourd’hui au sifflet du serpent, nous ferons mieux avant longtemps, ou tenez Puck pour un menteur. Sur ce, bonsoir, vous tous. Donnez-moi toutes vos mains, si nous sommes amis, et Robin prouvera sa reconnaissance.

Puck, Epilogue

mercredi 20 août 2008

Je remets à demain...

Petit gribouillis en clin d’oeil à Gwen

Je bois rarement du thé, dans ce pays où la « cup of tea » est la panacée à tous vos maux : si le ciel s’avisait à nous tomber sur la tête, une petite voix anglaise pointue s’élèverait de la débâcle pour suggérer « Let’s put the kettle on ». Rien n’est plus rassurant, dans le désordre, que le chuintement provenant d’une bouilloire ! Le thé c’est « a treat » pour moi, une boisson pour me faire plaisir comme un bon bain chaud après une journée harassante, quand j’ai du chagrin ou du temps à n’en plus compter, une boisson de dimanche d’automne.
J’aime le café et j’en bois tous les jours, mais de moins en moins. Hier, j’en savourais une tasse en face de la fac, il faisait froid et gris, quand le texto suivant d’une amie en vacances entre Singapour et Bali m’a cueillie: « Je déjeune après avoir acheté un Pashmina à Little India ». Mon imagination débordante n’a pu pourtant mettre aucune image sur ces mots-là... Tant mieux, les murs gris de la fac m’auraient semblé ceux d’une prison !

Ce hiéroglyphe décrit étonnamment ma journée d’aujourd’hui !

Je suis encore trop par monts et par vaux aujourd’hui pour vous « mander les balivernes de ce pays-ci » comme le dit Voltaire dans sa correspondance. L’antique Classique Larousse jauni, à la couverture violette poussiéreuse, à la suite de la lecture des « Lettres choisies » de l’ermite de Ferney me propose, comme exercice, de comparer « au point de vue de la correspondance, Voltaire et Cicéron ». Vaste projet ! Si je mentionne celles de Pline le Jeune, serais-je hors-sujet ? Mes corrections de copies d’hier ont visiblement déteint sur moi !
Je parlerai donc demain de ce qui me brûle les lèvres, de ce qui a réveillé chez moi – mais était-il assoupi ? - « l’esprit vif et leste de la joie », ce qui a renvoyé « aux funérailles la mélancolie », « cette pâle compagne » qui n’était point de ma fête lundi soir... mañana mañana donc... quand, pour quelques jours, ma vie ressemblera à cela :

mardi 19 août 2008

Il suffit de passer le pont...

J’ai passé la soirée sur la rive gauche de la Tamise, dans une sorte de cercle entre le London Bridge et le Millenium Bridge, entre Bank et St Paul’s, mais surtout entre l’illusion et la réalité. Mais, alas ! je n’ai pas le temps d’en dire quoi que ce soit avant demain... Aucun pont sous mes pas aujourd’hui, mais des sols universitaires divers. Dans deux jours, c’est moi qui ferai le pont !


lundi 18 août 2008

Renard des villes et renard des champs

Une ombre furtive se glisse parmi les voitures et le cri fuse : « Oh! un renard! » Il n’est pas rare de pousser ce cri ici, surtout en slalomant tard le soir en voiture dans le dédale de rues de mon quartier. Si nous restons à papoter dans la voiture, nous pouvons apercevoir celui qui gîte dans les parages de ma maison, s'aventurer hors de son abri. Je l’ai aperçu, la dernière fois, récemment, à la nuit tombée, mais il était si leste que je n’ai pu le photographier. Un matin, très tôt, des battements d’aile et des cris étranges m’ont réveillée: sous mes fenêtres, deux pies sautillantes cherchaient à éloigner cet importun goupil - une scène qui aurait pu inspirer La Fontaine ! J’ai de la peine pour ces renards des villes, qui se nourrissent dans les poubelles, et ne survivent pas longtemps aux roues des voitures en circulant de parc en jardin. Le renard de la photo n’a pas ces problèmes de survie : il vit dans une forêt du New Jersey où il profite de sa vie sauvage de renard et, quand les temps sont durs, il sait où trouver, fort civilement, des « reliefs d’ortolans ».

dimanche 17 août 2008

Danse ta vie, danse....

Parfois les chats se mettent à danser, comme ça, sans raison apparente, pour attraper un papillon ou un fantôme que seuls leurs yeux verraient. Une plante du jardin semble les agacer soudainement, comme si, en les voyant passer, dans une langue qu’ils partageraient, elle les avait remis à leur place. J’aime voir Léo danser parmi les fleurs.

- Elizabeth, où avez-vous trouvé cette faunesse échappée d’un bas-relief antique ? » s’enquiert la princesse Edmond de Polignac, qui pense à sa prochaine soirée. Un flot d’habits noirs et de décolletés généreux, où étincellent les rivières de diamants, s’est précipité vers la maîtresse de maison, la belle comtesse Greffulhe, qui sourit, énigmatique, dans sa longue robe noire brodée de lis rouges, un voile de mousseline rouge retenu sur ses cheveux par une torsade de perles :
« Qui est-ce ? Qui est-ce ?
- C’est une jeune Californienne qui vient d’arriver à Paris. Le nouveau génie de la danse. Elle a vingt ans. Elle s’appelle Isadora Duncan. »

Le destin tragique d’Isadora Duncan de Anne Manson
Le Roman vrai de la IIIe République

Quel âge avais-je donc déjà quand je l’ai vu? Isadora, le film de Karl Reisz sur Isadora Duncan (ICI) est sorti en 1968. Je ne sais plus dans quel cinéma de Casablanca nous l’avions vu, il me semble bien plus tard. Je ne me souviens que de la terrible scène finale où le châle - ou était-ce une écharpe. Etait-il blanc ou rouge ? - d’Isadora se prend dans les roues de sa Bugatti. Le soleil brille, la voiture roule sur une route de la Côte d’Azur... mais ce décor ressemble tant aux images que j’ai gardées de la plage d’Aïn Sebba où nous allions, que j’ai des doutes sur sa réalité. Cette scène m’a vraiment traumatisée, j’avais eu peur de monter dans une voiture ou de porter une écharpe pendant longtemps. J’ai aimé en apprendre plus sur son histoire, mais j’avoue que ce matin, ma lecture d’hier soir me laisse comme un léger malaise. Oserais-je revoir ce film ? Mais le nom de Greffuhle m’a donné envie de recommencer A la Recherche du Temps perdu, et de faire de Marcel et son orchestre mes compagnons de voyage au pays du Genji. C’est une idée qui me fait du bien. Il ne me reste donc plus qu’à acheter mon billet.

samedi 16 août 2008

Le goût du thé

Souvent Le Nôtre (...) cessait de croire à l’existence de tout ce qui n’était pas ses créations. (...) Ne demeuraient visibles que les jardins qu’il avait conçus : autant d’îles au milieu de la mer. (...) La diversité fait le charme premier d’un archipel : on voyage sans rien quitter.
Portrait d’un homme heureux : André Le Nôtre 1613-1700
Erik Orsenna
Bon vent à l’intrépide Lucie que le hasard a mise sur mon chemin et qui m’a dit tant aimer les îles. J’espère qu’elle est bien arrivée en Ecosse.

Femme prenant le thé de Chardin (1735) (ICI) et A Lady on her Daybed de François Boucher (1743) (ICI) – remarquez sur l’étagère la théière et les deux tasses – sont les fleurons de la petite exposition sur la folie du thé qui s’empara de l’Europe au Siècle des Lumières, et que j’ai visitée hier à la Wallace Collection (un musée, bijou rococo, consacré au XVIIIe siècle - ICI). Dans la bonbonnière qui sert de boutique, parmi les dentelles et les fascicules sur les vertus du breuvage en question, trônent des exemplaires des Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos. Depuis deux jours j’écoute avec passion leur lecture (ICI) et j’ai envie de revoir le beau film de Stephen Frears avec Glenn Close et John Malkovitch.
En entendant les personnages de Laclos prendre ainsi vie, je me félicite malgré tout que les livres n’aient pas vraiment l’usage de la parole et que leurs personnages ne puissent s’adresser directement à nous. Sinon j’imagine la cacophonie sur mes étagères et les griefs que le Shining Prince Genji cultiverait à mon égard... car je l’ai lâchement abandonné alors que sa nouvelle conquête - Yūgao (Belle du Soir) - venait de mourir en quelques minutes aux mains d’un esprit malin – une ancienne liaison dangereuse du maître des lieux – dans sa sauvage résidence du Kawara no In - un décor qui donne au Prince, nous dit le livre, une beauté extraordinaire : il est même « alarmingly beautiful »... Il ne lui reste plus qu’à filer à l’anglaise pour ne pas prêter le flanc aux rumeurs, comme le lui conseille vivement le fidèle Koremitsu. Pourrait-il comprendre, dans ces conditions, que je délaisse ses rayons princiers pour ceux du Roi Soleil et de son jardinier ou que je lui fasse des infidélités auprès de son compatriote Murakami et de ses courses d’endurance? J’en doute fort !

L’histoire de la Kawara-no-In, une ancienne résidence sur la rive ouest de la Kamogawa, me plaît – comme me plaît l’histoire de la Villa d’Hadrien - depuis que je l’ai découverte au temps béni où je lisais le journal de Dame Nijô. J’ai l’impression que les 5 premiers mois de cette année se sont dissous dans ce livre et les recherches que je faisais pour en saisir chaque allusion, chaque clin d’oeil littéraire, historique et géographique. J’aime l’histoire du puissant ministre Minamoto no Torū (822-895), fils de l’Empereur Saga, qui avait fait construire dans cette résidence de Kyoto un immense jardin reproduisant fidèlement la Baie de Shiogama (chaudron de sel) (qui devait ressembler à cela : ICI) et ses fours à sel (ICI)– on disait que c’était à cet endroit que le dieu Shiotsuchi no Oji avait montré aux habitants comment le récolter. Pour Minamoto no Torū, rien n’était trop beau, et des litres d’eau salée étaient transportés journellement de la côte à sa résidence - lien commun avec Le Nôtre et sa lutte aquatique pour « contenter les fontaines de Versailles » - pour alimenter ces fours. Tandis qu’on faisait bouillir cette eau pour en récolter le sel, l’élégant ministre et ses amis s’imaginaient dans la lointaine et inhospitalière région septentrionale de Shiogama - où pour rien au monde ces esthètes casaniers n’auraient mis les pieds ! Récitaient-ils ce poème anonyme du Kokinshu: In Michinoku province/Everywhere is sorrow - /But especially here in the bay of Shiogama /When I see the boats pull away ?
Me parviennent les clameurs du stade de football tout proche et des supporters retardataires en rouge et blanc s’interpellent à qui mieux mieux dans la rue. Un hélicoptère survole le quartier. J’ai beau aimer l’effervescence des jours de match, j’ai vraiment besoin de prendre le large, de m’imaginer comme Minamoto no Torū, loin de chez moi. Nul besoin de valise ou de passeport : il suffit de piocher parmi L'Eté de Kikujiro de Takeshi Kitano, Café Lumière de Hou Hsiao-hsien ou bien Le goût du Thé de Katsuhito Ishii pour m’évader (to get away from it all, c’est vraiment parlant en anglais !)

vendredi 15 août 2008

Un verre de Champagne et voilà le travail !

Catherine est une artiste

Je rangeais mes placards – une de mes occupations préférées. Sur une étagère, il y avait un petit tas de nouilles chinoises déshydratées qui avaient dû s’échapper d’un paquet (Hier, Catherine m’a ramené de France des soupes chinoises). J’aperçois comme de minuscules insectes qui s’agitent. Berk ! Je referme précipitamment le placard pour aller chercher de quoi le nettoyer. Quand je l’ouvre de nouveau, je m’aperçois qu’en guise d’insectes, ce sont en fait des Lilliputiens qui se cachaient dans les nouilles. Ils se mettent à courir de tous les côtés, comme les boules de poussière dans les films de Miyazaki. Ils disparaissent dans un trou au fond du placard. Soudain, je me retrouve dans une salle voûtée, où rougeoie une sorte de fournil aux braises incandescentes. Un pâtissier bâti comme un lutteur olympique, les muscles luisants, couvert de suie, en salopette, une casquette bleue sur la tête genre ouvrier du XIXe siècle ou mineur sorti tout droit de Germinal, me montre du menton un couloir sombre et me dit « C’est par là... » Je ne m’engage pas dans le couloir et je me retrouve en surface : je suis à Paris. Il y a un poteau avec de multiples directions devant moi, mais aucune n’indique – heureusement - l’entrée de ce musée... des horreurs ? Freud ferait ces choux gras de ce rêve, assurément, mais moi j’y vois l’effet bénéfique de mes amis sur mes idées noires de ces derniers jours.

Je suis tout ouïes

Il y a très longtemps que je joue les espions occasionnels dans l’autobus de la ligne 24 (...). J’ai chez moi un dossier de gestes, de phrases et de conversations entendues au fil du temps (...), j’ai dérobé et consigné toutes sortes de phrases isolées, de conversations étranges, de situations extravagantes.

"La modestie" dans Explorateurs de l’abîme d’Enrique Vila-Matas

Je les avais déjà remarqués à l’arrêt de bus. Ils ne s’abritaient pas de la pluie et du froid comme nous. Elle, très grande, vraisemblablement Scandinave. Lui était Britannique. Il devait revenir de vacances au soleil : il avait le visage cuivré, virant au rouge, tant il avait pris de coups de soleil. Le bus était bondé et tous ceux qui pouvaient entendre leur conversation regardaient ailleurs, gênés.
« Tu es de quel signe astrologique ? » lui a-t-il demandé. Elle semblait ne pas comprendre. Il insiste : « Tu es née quand, quel mois ? »
- En février
- Mais c’est quand ton anniversaire ? »
Elle répond, évasive : « Vers la mi-février. » Agacée : « Pourquoi veux-tu savoir ça ? »
Il ne tient pas compte de sa remarque : « Tu es Verseau alors... »
Elle éclate d’un rire sarcastique : « Mais je ne crois pas à ces trucs là ! »
Il répond en se contredisant : « Moi non plus ! mais c’est une indication... on dit que les Verseaux sont rêveurs, qu’ils sont dans leur propre monde ...
- Mais ça ne veut rien dire ! Tous les gens nés sous le signe du Verseau seraient pareils ? Tu plaisantes ! J’ai horreur qu’on mettre des gens dans des cases ! »
Lui, sentant le terrain miné, change de conversation, et, tout fier : « Tu connais Gottenburg ? J’y suis allé ! »
Elle devait avoir une piètre opinion de lui ou bien le connaître car elle a dit d’une voix très ironique : « Faire la tournée des pubs je parie ! »
Lui a répondu, penaud : « Non, visiter une usine. »
J’ai avisé une place, dans le fond du bus, et je m’y suis précipitée. Tomberaient-ils amoureux, malgré ce faux départ ?
J’avais oublié combien c’était bon de paresser à la terrasse d’un café, de voir le temps virer du bleu au gris, et de parler de tout et de rien: d’Alain Bernard sortant d’un bassin à Pékin, de la lutte gréco-romaine, des pluies d’été à Singapour et Bali et des parapluies transparents de Tokyo, des livres d’Obama et de la maison de Victor Hugo...
A la table d’en face, un homme semblait s’ennuyer à mourir. Muet, il regardait avec des yeux noirs ses deux compagnons, un homme très bavard et une femme rousse. Le bavard a dit à un moment : « Si je la quitte je perds tout, et je dors dans la rue ». Quand ils sont partis, une Américaine blonde, chic dans son costume vert-pomme, ruisselante de diamants – elle avait notamment un magnifique bracelet et des bagues énormes - s’est installée à leur place avec un homme et des enfants. G. m’a dit qu’elle travaillait à la télé anglaise. On sentait la femme de tête en elle. Elle parlait à cet homme d’un ton agacé, consultait son portable sans cesse. Moi, je me sentais vraiment en vacances et loin de tout, à deux pas de chez moi.

jeudi 14 août 2008

Insomnie

Je sais ce que je mange, je sais ce que je bois et je sais que c'est comme ça que j'y arriverai, a répondu l'homme au requin tatoué sur la hanche gauche. (ICI)

Depuis quelques nuits, le sommeil me déserte. J’en suis à prier qu’une mouche tsé-tsé s’égare jusque dans mes parages... Tandis que je « gravis les escaliers de la nuit » (Barbara ICI) d’autres s’ébattent comme des dauphins dans des nids d’hirondelle et, à 3h48 du matin exactement, dans la pénombre, voilà qu’on m’exalte « mental », « motivation » et autres « entraînements »... rien de mieux pour me faire replonger de plus belle dans tout ce qui m’empêche de garder les paupières closes...
Des livres « sans intérêt » m’avait-on dit, « encombraient » les étagères d’un bureau qui est devenu, hier, ma caverne d’Ali Baba. Que de beaux livres ! Photographies du Paris disparu, Fernand Braudel sur la Méditerranée, poésies de Ronsard et oeuvres de Rabelais reliés de cuir bosselé, Paris de ma fenêtre de Colette dans sa belle couverture d’origine, des Voltaire et des Zola, un Madame de Sévigné, un Nathalie Sarraute, un Mauriac, l’histoire du métro, de la bataille d’Alesia et celle de la ville de Toulouse, Le Roman vrai de la IIIe République qui retrace tous les faits divers de l’époque, la vie de Léopoldine Hugo avec des cartes postales la représentant achetées à Jersey et oubliées dedans... j'en passe... je n’avais pas assez de bras pour les ramener dans mon bureau et cela va me prendre quelques semaines pour les ramener chez moi. J’imaginais, en découvrant ceux qui me plaisaient moins, à qui ils feraient plaisir... comme ce magnifique dictionnaire d’arabe édité au Caire il y a presque 100 ans, tout relié de cuir avec des gravures charmantes. Commencé cette nuit, j’ai presque fini Portrait d’un homme heureux d’Erik Orsenna sur André Le Nôtre, l’architecte des jardins de Vau et Versailles. L’insomnie a quand même ses bons côtés parfois ! Aujourd’hui, repos, alors je vais continuer d’écouter Les Liaisons dangereuses lues ICI. Une merveille !

mercredi 13 août 2008

Un air de Laure Manaudou

Le printemps fut bientôt remplacé par l’été. Fleuri, dans un beau jour, alla se promener avec ses parents (...) dans un village voisin. Ils trouvaient sur la route, tantôt des blés verdoyants, qu’un vent léger faisait rouler en ondes, comme une mer doucement agitée, tantôt des prairies émaillées de mille fleurs. Ils voyaient de tous côtés bondir de jeunes agneaux, & des poulains pleins de feu faire mille gambades autour de leur mère. Ils mangèrent des cerises, des fraises, & d’autres fruits de la saison, & ils passèrent la journée entière à s’ébattre dans les champs.
« N’est-il pas vrai, Fleuri, lui dit M. Gombault, (...) que l’été a aussi ses plaisirs ?
- Oh ! (...) je voudrais qu’il durât toute l’année ! » Et à la prière de son père, il écrivit encore ce souhait sur ses tablettes.

L’Ami des Enfants d’Arnaud Berquin (1782)

C’est étrange, un 13 août, de se lever tôt, et d’aller travailler de son plein gré. Bien sûr, préparer le terrain pour l’année qui vient, la rendra d’autant plus agréable... mais je sature. Quand je regarde mes voisins d’autobus et leurs mines sérieuses, obligés d’aller au turbin, qui ont déjà dû épuiser leur "capital vacances" et qui n’ont plus que le pont de la fin août pour profiter de l'été et de ses plaisirs... j’ai envie de rebrousser chemin, de couper mon portable, et de disparaître. Alors ce soir, je me remets d’office en vacances pour quelques jours, sinon je sens que je vais déprimer. Mais personne ne se déplacera à la piscine de mon quartier pour me voir pleurer : « Est-ce que tout ça vaut la peine ? » Demain je serai la Michael Phelps de l’oisiveté, la paresseuse la plus titrée de la galaxie !

mardi 12 août 2008

I love London

Je veux rester libre.
Ouvrir un salon de thé à Meitanba.
Habiter à la campagne.
Voyager quand je veux et continuer à faire ce que j'aime.

Zhou Shuguang dans Le zèle du blogueur (ICI)

Les choses les plus simples, les plus naturelles, les plus essentielles, pourquoi faut-il tant se battre (et certains, comme Zhou Shuguang, plus que d’autres) pour les obtenir et les vivre? C’est la chose qui me révolte le plus dans ce monde absurde.

C’est un sentiment étrange : je me sens vraiment Londonienne, solidaire de ses autres habitants et pleine d’affection pour cette ville, quand je vois, de l’extérieur, les autres Londoniens faire des choses « que les Londoniens font » ! C’est alambiqué comme phrase mais c’est un sentiment très difficile à cerner. Par exemple, traverser la City à la fermeture des bureaux et observer les employés de bureau se rendre au pub en bande joyeuse ou se précipiter dans le métro un journal du soir à la main, et savoir que demain cela recommencera... cela me fait chaud au coeur. Ou bien j’aime traverser le West End un vendredi soir, quand les pubs, les restaurants, les brasseries, sont pleins à craquer, quand la foule turbulente se détend au début du week-end, quand les théâtres sont assaillis et que les videurs des boîtes de nuit ne savent plus où donner de la tête... tandis que je regagne mon quartier si calme avec le sentiment que tout tourne rond... En fait, c’est parce que je ne fais pas toutes ces choses que je suis Londonienne. J’ai l’impression que je ne m’identifie plus du tout à un pays, une culture, une langue, mais à une ville qui contient un peu du monde entier.

lundi 11 août 2008

Hantée

J’avais bien pris toutes les précautions d’usage avant de m'installer hier midi devant Rétribution (2007) de Kiyoshi Kurosawa (ICI): j’avais regardé le making off, l’interview du réalisateur, et lu plusieurs articles sur le film. Et, en effet, je n’ai pas eu peur : quand le fantôme apparaît dans la cuisine et pousse son cri perçant, je savais que le réalisateur était tapis dans un coin ; quand, sur le terrain vague détrempé - qui ressemble à une scène de théâtre où se jouerait une pièce de Koltès - la femme en rouge s’avance vers le détective Yoshioka (Koji Yakusho qui lui aussi a des dons d’ubiquité !), je savais qu’elle était sur des rails ; quand la maison tremble comme dans un séisme et que les rideaux s’agitent, je me souvenais que Kurosawa avait dit : « c’est mieux quand ils sont tirés ». J’ai même fait des retours en arrière en admirant son savoir-faire: j’aurais juré que dans cette flaque d’eau surnageait un morceau de métal orné d’une tête de mort... mais quand Yoshioka revient le chercher – en pleine nuit, évidemment ! – il avait bien vu lui, que c’était le bouton d’un imper et qu’il pourrait l’incriminer. Je suis revenue en arrière et même là, on ne voit pas tout de suite que ce n’est qu’un bouton, on peut y distinguer le visage d’une femme qui hurle comme dans le tableau de Munch, et ça donne des frissons ! Bref, j’ai bien « regardé dans le cadre » comme le conseille le réalisateur, pour mettre de la distance avec le film, j’ai fait des comparaisons avec Caché de Michael Haneke (ICI) et je me suis gentiment moquée de Jo Odagiri, une sorte de psy improbable, plus fou que ses patients ! Pour couronner le tout, et tenter d’oublier ses aspects inquiétants, je suis sortie voir un énième film chinois The Other Half (2006) de Ying Liang, sur la dure vie des femmes chinoises aujourd’hui...
Mais c’était sans compter sur le pouvoir du cerveau qui, lui, ne veut rien oublier – comme nous le montre le film d’ailleurs ! Dès ma sortie du cinéma, les paroles de la « femme en rouge » me sont revenues à l’esprit comme si je venais de les entendre - en japonais en plus ! – comme une incantation : itsumo anata no soba ni imasu. Itsumademo, zutto... (je serais toujours près de toi...). Comme l’intrigue est quand même un brin tordue, mon esprit logique voulait à tout prix la comprendre : y avait-il un ou deux fantômes ? Et quand il parlait à Harue, c’était un fantôme ou pas ? Ce questionnement ne m’a pas laissé une minute de répit alors que la nuit se faisait sur Londres...
Et soudain je me suis souvenue que le ferry, crucial dans le film, partait de Ariake. Ariake Ariake... je connaissais ce nom... mais oui, mais c’est bien sûr.... une des stations de la Yurikamome, la ligne de métro aérienne automatique (ICI) que l’on prend pour aller sur l’île d’Odaiba... et la première fois que j’avais fait le tour de l’île, j’avais pu observer les terrains vagues et les chantiers. « Après Daiba, c’est la zone » avais-je même remarqué à l’époque... Malgré moi, le film quittait la fiction et s’ancrait de plus en plus dans le réel... Ne pouvant fermer l’oeil, j'ai cru bon d'écouter mon ipod pour me changer les idées. La lecture aléatoire a affiché Les Passantes de Brassens : Je veux dédier ce poème... A celle qu'on voit apparaître / Une seconde à sa fenêtre / Et qui, preste, s'évanouit... – et si Brassens parlait lui aussi de cette femme en rouge qui se cache derrière sa fenêtre, et que pour son malheur - et le mien! - Yoshioka aperçoit brièvement du pont du ferry d’Ariake... ?
Bref, ce matin, je tombe de sommeil!

dimanche 10 août 2008

Moi j'ai ce soir une âme qui s'est creusée (Apollinaire)

De retour à Ouarzazate, le dernier autocar part à 21 heures pour Marrakech. D'ici là, il faut patienter dans la brasserie aux murs décrépis de la gare routière où un vieux téléviseur diffuse en sourdine un match de football, tandis qu'un chat errant se faufile entre les jambes des hommes, en quête de quelques miettes. Le temps d'avaler une harira tiède (la soupe traditionnelle), l'heure a déjà tourné. L'heure de reprendre la route, la dernière, avec quelques regrets.

De Marrakech à Erfoud en bus de Marilyne Chaumont (ICI)

On tombe parfois, au détour de la lecture d’un journal, sur des articles si bien écrits, qu’ils nous donnent envie de boucler nos valises et nous font regretter qu’ils ne soient pas des romans.

J’étais surprise de la voir arriver à notre rendez-vous du samedi armée d’un grand parapluie et d’un pull chaud. "La journée serait autumnal" m’a-t-elle expliqué. Mais je restais dubitative devant le soleil radieux et le ciel bleu azur, par delà la vitre du café. Dans son carnet bleu elle a noté, au fil de notre conversation à bâtons rompus, des expressions aussi indispensables que « Arrêtons là les frais ! » et « Ça commence par me sortir par les yeux ! » Deux heures plus tard, en quittant notre café-école, l'automne [avait] fait mourir l'été comme le dit Apollinaire : bourrasques glaciales et trombes d’eau n’ont plus cessé de la journée.
Au lycée j’ai étudié l’oeuvre de ce poète et, avec le recul, nos professeurs nous forçaient un peu trop systématiquement à déceler entre les vers sa biographie, plutôt qu’à nous faire apprécier la musique de ses mots. Nous mettions ainsi à toutes les sauces le célèbre vers : Mon Automne éternelle ô ma saison mentale, car le poète était définitivement pour nous l’homme mélancolique qu’on nous désignait.
Selon cette logique implacable donc, si j’étais poète, mes vers de vendredi auraient été bien sombres... Ils auraient peut-être évoqué un frêle esquif navigant sur une mer démontée ou un vulnérable équipage traversant une forêt ténébreuse... Mais je préfère laisser aux éléments déchaînés d’hier le soin de parler de ma journée tourmentée de vendredi à laquelle, comme Mariza, j’aurais dû venir emmitouflée jusqu'aux yeux! Mais aujourd’hui il fait beau sur la ville et dans mon coeur...

Le titre de départ comportait une virgule, Nulle part, terre promise, ce qui supposait que notre terre promise consiste à attendre le nulle part. Puis j'ai décidé d'enlever la virgule, ce qui ne signifie pas que la terre promise est nulle part, mais plutôt qu'elle ne se trouve pas quelque part. En d'autres termes, ce n'est pas dans un lieu précis qu'il faut la chercher. L'idée de croire que la terre promise n'est pas un lieu est une idée ancestrale.

Emmanuel Finkiel (ICI)

samedi 9 août 2008

Une moisson de films

Sans lui tendre la carte, il a commandé en habitué : "Porc aux champignons, poulet de la concubine impériale, boulettes de viande des quatre bonheurs, soupe de pousses de bambou d'hiver..." (...) "Que diriez-vous d'un poisson et de crevettes ?", a demandé la serveuse (...). Une langouste australienne à manger de trois façons - tranches crues, sautée à l'échalote et au gingembre, et riz au jus de langouste - coûtait neuf cents yuans. Il n'a même pas essayé de vérifier le prix exact d'une grosse courbine frite en forme d'écureuil.

Le bol de riz en fer de Qiu Xialong (ICI)

La saison de films chinois bat son plein... Même si certains sont très éloignés de mes goûts, il y a toujours l’appel de l’ailleurs, les sons de cette langue qui est comme musique à mon oreille, ces décors si différents de ceux qui m’entourent, et surtout cette merveille nourriture, si colorée, aux formes bizarres parfois, comme ces intestins de porcs blanchâtres - on dirait des tagliatelles plus larges - que l’on déroule sous l’oeil de la caméra, ces marmites bouillonnantes dans lesquelles trempent des brochettes de trucs ronds comme des balles de ping pong peu ragoûtantes... Un truc qui me fascine c’est quand quelqu’un saisit un petit bout de nourriture dans un plat et le porte à sa bouche, alors que moi je verserais le plat entier dans mon bol de riz ! Donc malgré des fortunes diverses, j’aime les films suivants :
The Sun also Rises (Le soleil se lève aussi, Jiang Wen, 2007) : je ne pense pas que je garderai de grands souvenirs de ce film, à part les quelques images spectaculaires et extravagantes de la fin, à la Kusturiča, tournées dans le désert de Gobi. Une histoire répétitive, agaçante, qui ne m’a pas trop intéressée, bien que ce soit toujours surprenant de voir Anthony Wong dans un autre rôle que celui de policier taciturne ou de malfrat au coeur tendre qu’il tient dans les films de Johnnie To par exemple. Ici il joue de la guitare, il chante, on dirait Tino Rossi ! ICI et ICI et ICI
Karmic Mahjong (Wang Guangli, 2006): oh la la... un vrai supplice chinois... qu’étais-je allée faire dans cette galère ? Ne vaut que pour la trop brève apparition de Jia ZhangKe dans le rôle d’un voleur tenant en otage sa victime, et qui se fait arrêter dans des circonstances rocambolesques. Il y a aussi une scène où Chen Chuan (Francis Ng, que je préfère aussi chez Johnnie To) - une sorte de Pierrot ahuri courant de malchance - qui, tentant d’empoisonner sa femme – qui passe son temps à jouer au Mahjong (on la comprend !), jeu dont les règles me paraissent aussi obscures que celles du cricket – avec de la mort au rat, éternue et s’empoisonne lui-même. Son arrivée à l’hôpital est drôle, je ne saurais trop expliquer pourquoi ! Peut-être mes nerfs qui lâchaient ! En sortant d’un tel film, on aimerait étrangler le programmateur de cette rétrospective ainsi que le rédacteur du programme du BFI qui sait si bien nous vanter les attraits de ce film, tout en restant assez vague pour ratisser le plus grand nombre de spectateurs... il pourrait se reconvertir dans l’astrologie ! Je les verrais bien tous les deux subir le même sort que Maître Liu, le voyant-aveugle du film... qui finit dans une fosse après avoir glissé sur des tranches de pastèques ! ICI
Luxury Car (Wang Chao, 2006): Third time lucky, comme on dit en anglais! L’histoire de Li Qi Ming, un instituteur de campagne où la Révolution Culturelle l’a exilé, venu à la grande ville à la recherche de son fils. Sa femme, malade, veut revoir une dernière fois son fils avant de mourir. Li Yan, sa fille, vit dans cette ville et il découvre peu à peu la vie sordide qu’elle y mène, comme entraîneuse dans un karaoke et maîtresse d’un parrain local. L’acteur qui jouait le père (Wu You Cai) vient du théâtre. Il était superbement digne et juste dans le rôle de cet homme simple et droit. Malheureusement, le film s’embourbe dans sa seconde partie, devient trop rapide et violent. J’aurais aimé qu’un Jia ZhangKe prenne la caméra des mains de Wang Chao et termine l’histoire de la façon aussi subtile qu’elle avait commencé ! ICI
La suite au prochain numéro... La tempête automnale – dixit la météo - qui souffle sur Londres m’ôte tous les scrupules que j’aurais pu avoir à passer le plus clair de mon temps dans les salles obscures...

vendredi 8 août 2008

They say that his nickname, the Shining Lord, was given him in praise by the man from Koma... (chap 1)

Ce n’est pas Sei Shōnagon...
Mais bien Murasaki Shikibu, qui écrivit le Genji Monogatari,
Un mois d’août d’il y a 1000 ans
Au Temple Ishiyama sur les rives du Lac Biwa

Virginia Woolf, pour Vogue, en juillet 1925, dans sa critique du livre qui venait d’être traduit en anglais, rappelle avec humour que, tandis que cette gente dame, drapée dans des flots de soie, évoluant parmi une cour extrêmement raffinée, s’extasiait sur les pétales blancs des chrysanthèmes et le vol gracieux des grues, au même moment, sous nos tropiques, c’est les pieds dans la boue, la fumée leur piquant les yeux, que de rustres guerriers du nom d’Aelfric et d’Aelfred, reignaient sur nos destinées.

C’est quand même dommage que le Kemari (un jeu de balle) ne soit pas devenu une discipline olympique !

jeudi 7 août 2008

The moon was setting in a beautifully clear sky (Genji, chap. 1)

Quand le soleil brille trop fort,
Olafur Eliasson l’emprisonne au sein de la Tate Modern C’est tant mieux car j’aime surtout l'aube et le crépusculeQuand le soleil se lève sur les bords de la Sumida
Du côté d’Odaiba Ou sur les rives de la Méditerranée
Du côté de Nerja
Quand il se couche sur la campagne anglaise


Et fait s’allumer les réverbères de la grande ville

Le soir il se passe dans le ciel un drôle de partage
Une vraie compétition Olympique:
Quand le Soleil passe le témoin à la Lune

mercredi 6 août 2008

Le travail, c'est la santé

Pour ma première expérience sur scène, j’étais amplement satisfait. Je n’arrêtais pas de me féliciter : Tu es toujours très fort dans les situations extrêmes. Quand tu es coincé, tu n’as peur de rien, quel putain de courage. Alors, t’as vu, tu t’es débrouillé comme un chef ! Tu les as fait rire finalement. Tu ne serais pas un génie, toi ?

Asakusa Kid de Takeshi Kitano

Quand j’étais petite, quand mes parents me demandaient de faire une chose aussi simple que de fermer une porte, de ranger un truc dans un placard etc., je leur répondais invariablement : « attends », car je n’estimais pas que cela soit plus urgent que de terminer la page d’un livre ou de peigner les cheveux de ma poupée préférée ! Je m’entends encore dire: « attennnnnnnds », avec la fin du mot qui se termine en une sorte de grognement agacé. J’avais horreur qu’on me presse et surtout qu’on décide de mon temps. Et mes parents répliquaient : « Mais attends quoi ?! » A ce moment-là seulement je m’exécutais, pour mieux m’adonner ensuite, avec un plaisir redoublé, à mon occupation du moment.
La leçon que j’en ai tirée, sans me la formuler clairement, c’est qu’il faut que je m’organise pour ne rien avoir à faire dans un sentiment d’urgence. C’est pour cela qu’hier soir, tard dans la nuit, après avoir travaillé comme une enragée – mais en m’éclatant car j’adore ce que je fais – pendant plus de 15h sans interruption et dans un silence monacal, j’ai vraiment eu un sentiment de satisfaction intense. Si je continue dans mon élan, avec cette mécanique bien huilée, j’aurais bouclé mes 6 « projets » avant le 29 septembre (il m’en reste 4 sur 6), et au moment de reprendre le collier, j’aurais un peu plus de temps pour mes loisirs, et ce jusqu’en mai 2009 ! Alors, pendant deux jours, je vais me reposer. Je le mérite bien, non ?

mardi 5 août 2008

落 葉 歸 根*

J’étais contente de quitter ma table de travail, mes petits découpages et mon parquet jonché de papiers froissés, pour aller prendre un bain de soleil sur la terrasse du Royal Festival Hall et sa vue sur la Tamise et puis au BFI voir un énième film chinois... J’avais vraiment beaucoup aimé Shower (2000) de Zhang Yang, et son Getting Home (2007), vu hier, était un touchant road movie. On en parle très bien ici et ici. Les paysages très contrastés, étaient magnifiquement filmés par – cerise sur le gâteau! – Yu Lik-wai (on reconnaît tout de suite sa signature) dont je parlais hier : les scènes près du barrage des Trois-Gorges, m’ont donné l’impression d’être devant un « marabout bout de ficelle » cinématographique, comme si le vénéré 余力为 s’était emmêlé les pinceaux et avait glissé des bobines de Still Life de Jia Zhang-ke dans le film de Zhang Yang !
A un moment de son périple, Zhao (parti de Shenzen près de Hong Kong, il ramène le corps de son ami dans son lointain village) croise une procession funéraire. Comme il a l’estomac dans les talons, il pleure des larmes de crocodile devant le cercueil dans lequel repose le corps d’un vieux Chinois, puis va se goinfrer au banquet. Soudain, un vieil homme s’avance et lui dit « je suis le type du cercueil ». Zhao est éberlué et croit voir un fantôme... nous aussi ! Mais je ne crois pas que Kiyoshi Kurosawa aurait eu peur devant cet affable apparition... C’était vraiment marrant.
J’ai fini le livre de Kurosawa sur sa passion pour les films d’horreur, qui m’a foutu la frousse quand même..., et je change d’humeur du tout au tout avec les souvenirs irrésistibles de Takeshi Kitano sur ses débuts de comique au cabaret Le Français de Asakusa ! Le Genji est toujours aussi gros !
*Luo Ye Gui Gen: Falling Leaves return to their roots (titre chinois de Getting Home), vieil adage chinois (chengyu)

lundi 4 août 2008

Grands Espoirs de Médailles

Sur la première marche du podium nous devrions retrouver celui qui, parti de Pékin, a commencé son été comme juré au Festival International de Documentaire de Marseille, puis comme vedette du Festival de Courts-Métrages de Vila do Conde au Portugal où on a rendu hommage à sa carrière de réalisateur (ICI pour un aperçu), et qui le terminera en beauté à la Mostra de Venise fin août où on lui remettra - je croise les doigts - le Lion d’Or pour Plastic City (Dangkou), tourné à Saõ Paulo en avril dernier avec en vedette Jo Odagiri (mon acteur fétiche) et Antony Wong, entre autres. Le chouette Yu Lik-wai, qui est aussi le directeur de la photo de Jia Zhangke, mérite tous les honneurs ! Akires to kame de Takeshi Kitano ou Gake no ue no Ponyo de Hayao Miyazaki, eux aussi sélectionnés, devront s’effacer cette fois-ci et se partager la médaille d’argent et de bronze !
Mais, c’est à moi que revient la Médaille de Macaron, car ma visite, en compagnie de M., la bouche encore pleine des saveurs de macarons Hermé, à l’expo Sophie Calle à la Bibliothèque Richelieu le 12 juin dernier, va porter ses fruits exactement un an jour pour jour – vous avez dit bizarre ? - après celle-ci, sous la forme d’une communication au colloque suivant (ICI) en juin 2009... Hourra !
Oui, je l’avoue ici, les athlètes (universitaires) sont dopés : aux macarons vert pistache, rose Ispahan et jasmin japonais!
Pour célébrer tout cela, voici en cadeau, un très joli petit petit court-métrage japonais sur un poisson affectueux (ICI) et un autre brésilien : petite leçon féline et efficace sur la mondialisation (ICI).
Ne me remerciez pas...