jeudi 31 juillet 2008

Hagaki

samidare ya shikishi hegitaru kabe no ato

summer rain
on the wall traces of
torn poem cards


Bashō

Je viens de recevoir une carte postale dont le cachet m’indique qu’elle provient de Omiyanishi, Préfecture de Saitama, dans la banlieue de Tokyo. Au dessus de mon adresse, on a collé deux jolis timbres bariolés : une guêpe butine une fleur rose et un drôle de canard barbote dans un étang. C’est une carte assez sobre où seule une branche de cerisier en fleur, un brin anachronique, égaye le regard.
Le message a été rédigé en japonais : un mélange de kanjis, d’hiraganas et de katakanas, avec des mots choisis que je comprends sans trop d’efforts. On a pris pédagogiquement le soin de traduire en anglais le message, pour que je ne fasse aucun contresens.
Quand j’envoie une carte du Japon à un correspondant européen, je trouve si belle la face où se trouve l’image, que je n’ose l’entacher en y inscrivant le moindre mot – pourtant on trouve des cartes postales anciennes où l’écrit déborde sur l’image... Et comme je n’ai aucune raison d’écrire en japonais, je laisse vierges ces espaces qui ressemblent à des couloirs de piscine olympique, sensés recevoir les kanjis inscrits à la verticale. Personne ne s’est jamais étonné d’ailleurs de cet étrange espace vide, bordé d’illustrations, qui force le message à se ratatiner au revers de la carte, à côté de l’adresse.
En regardant cette carte postale écrite par une main japonaise, j’admire l’occupation de tout l’espace. Ce n’est qu'une petite carte postale d’été, une douce attention qui me va droit au coeur, mais qui s’inscrit dans une tradition millénaire: les Anciens japonais n’agissaient pas autrement, en harmonisant le contenu de leurs messages aux mouvements de la main qui les inscrivait et au papier qui les recueillait.
Il m’arrive parfois de regarder les cartes que j’ai ramenées du Japon. La première fois que j’y ai mis les pieds, c’était presque la fin de l’été. Dans les papeteries comme Itoya ou Loft, on trouvait de jolies cartes, typiques de l’été nippon que je découvrais. Comme à mon habitude, je ne me suis pas privée d’en envoyer des brassées. Il m’en reste encore et je ne m’en sépare qu’avec parcimonie.
Certaines annonçaient déjà l’automne aussi, que j’espère connaître un jour tant il est beau là-bas, me dit-on.
La deuxième fois c’était le printemps et aucune carte n’échappait à la fleur de cerisier. Maintenant j’attends avec impatience de remplir mon panier de cartes du Nouvel An 2009, et de voir comment le boeuf aura remplacé Demoiselle Souris.

mercredi 30 juillet 2008

Ara itawashiya! *


Le cours d’une rivière est incessant, mais ses eaux sont changeantes. L’écume qui, flottant au gué, se forme et disparaît ne reste jamais la même. Semblablement, les hommes et leurs demeures.

Ecrit de l’ermitage (Hōjōki) de Kamo no Chōmei (1212)

C’est sur ces mots que s’ouvre Le Conte de Yamanaka Tokiwa : à la découverte d’un rouleau illustré (2004) [Into the Picture Scroll], le film de Sumiko Haneda, et sur les plans des eaux, tantôt turbulentes, tantôt paisibles, des fleuves Kitakami et Koromo, qui coulent au pied du Mont Kanzan à Hiraizumi, dans la préfecture d’Iwate, située dans le nord de l'île de Honshū.
Et c’est certain, après l’expérience d’hier soir, je ne passerai plus aussi rapidement devant les rouleaux des parchemins japonais exposés dans les vitrines des musées !
Au XIIe siècle, Hiraizumi, fief du clan Fujiwara, rivalisait avec Kyōto en beauté et en richesses. C’est là que Minamoto no Yoshitsune s’est suicidé, en 1189, après la Bataille de la Koromogawa, sur l’ordre de son demi-frère, le félon Minamoto no Yoritomo. La prospérité de la ville ne dura que 100 ans, et à la chute des Fujiwara, elle sombrera dans l’oubli, comme le constate tristement le poète Bashō, foulant l’ancien champ de bataille 500 ans plus tard: Herbes de l'été/des valeureux guerriers/trace d'un songe. Minamoto no Yoshitsune était un intrépide samouraï, devenu un général aux faits légendaires, héros entre autres de l’épopée que l’on peut lire dans le Dit des Heike. Enfant, son nom était Ushiwaka-maru.
Durant la période Edo, une des légendes sur Ushiwaka-maru et sa mère, Dame Tokiwa, le Yamanaka Tokiwa Monogatari ou Récit de la Dame Tokiwa à une auberge de Yamanaka, faisait l’objet d’un spectacle de marionnettes très populaire - le jōruri, l’ancêtre du bunraku. La voix du récitant, qui s’accompagne d’un shamisen, suit une mélopée envoûtante et agaçante à la fois. Elle se fait tour à tour larmoyante, émouvante, suraiguë, puis profonde ou gutturale.
Ce conte a été richement illustré par Matabei Iwasa au XVIIe siècle, sur douze rouleaux de parchemin (emakimono) enluminés. Voici l’histoire qu’il raconte : se languissant de son fils, Dame Tokiwa quitte Kyōto incognito. Cheminant difficilement, elle part lui rendre visite, à ses risques et périls, dans le nord du Japon, en compagnie d’une unique servante. En chemin, épuisées, elles font étape dans une auberge, dans la ville de Yamanaka, où six épouvantables bandits, devinant la haute lignée des voyageuses et alléchés par les richesses qu’ils supposent, assaillent l’auberge, les volent et les assassinent sauvagement.
De son côté, Ushiwaka-maru est inquiet du sort de sa mère qui ne cesse de lui apparaître en songe. Il décide de la rejoindre à Kyōto. Il s’arrête dans l’auberge rouge où le fantôme de sa mère lui apparaît. Ivre de colère, il emploie la ruse pour piéger les coupables et les coupe littéralement en rondelles ! Plus tard, devenu un puissant guerrier, sur le sentier de la guerre, il reviendra sur les lieux avec son armée de milliers d’hommes, se recueillera sur le tombeau de sa mère et octroiera de larges terres aux aubergistes en récompense.
Sous nos yeux, Sumiko Haneda, la réalisatrice, qui a mis 30 ans à compléter son film, déroule les précieux parchemins aux couleurs éclatantes. Sa caméra suit de droite à gauche, en gros plans, avec délicatesse, les personnages, et leur donne vie. Elle nous révèle leurs expressions, leurs splendides costumes, mais aussi l’intérieur des maisons, des oiseaux pêchant au bord d'une mare, les commerçants dans leurs échopes, les diverses nourritures... tout un monde qui évolue sur un fond de nuages dorés, typiques de ces parchemins. L’action est décrite par un récitant, de sa voix si particulière, surtout pour nos oreilles peu averties – des rires ont fusé dans la salle au début -, sur une musique de jōruri composée spécialement pour le film.
De temps en temps, Sumiko Haneda se détourne du parchemin pour nous montrer des images réelles de forêts qu’ont traversées les infortunées voyageuses, de la ville de Hiraizumi ou de celle de Yamanaka, et nous raconte l’histoire du peintre Matabei Iwasa, dont la jeune mère périt aux mains d’Oda Nobunaga dans sa conquête du pouvoir. Les scènes poignantes de l’agonie de Dame Tokiwa baignant dans son sang, seraient un écho des sentiments de Matabei Iwasa envers la mort précoce de sa propre mère.
C’était une vraie aventure, et ce film saisissant restera longtemps, sinon toujours, gravé dans ma mémoire.

Je ressemble à un nuage flottant, je ne réclame rien. Mon plus grand bonheur serait une sieste, la tête sur l'oreiller d'une sieste paisible, mon plus grand espoir, de demeurer en contemplation devant la beauté des saisons.
Kamo no Chōmei
* « Comme c’est triste !» : Cri qui rythmait les récits des conteurs de rue

mardi 29 juillet 2008

Ce côté-ci de la barrière

D’un côté, les douces et chaudes journées d’été, avec leurs chemins de traverse que l’on n'en finit pas d’arpenter, de découverte en découverte, « le coeur léger et le bagage mince » comme dit la chanson. Où que l’on soit, même au coeur d’une ville, on est comme assis au bord d’une grève à contempler l’horizon, se laissant bercer par le murmure de l’eau. On n’en fait qu’à sa tête, libre de pousser son chemin où l’on veut, une vraie herbe folle qui oublie peu à peu l’autre côté de la barrière, la vie réglée au cordeau, les horaires fixes, et les responsabilités à venir. Aujourd’hui, je suis dangereusement en équilibre sur cette barrière, que je voudrais aussi infranchissable que le mur d’Hadrien. J’aurais dû chiper quelques pierres au British Museum dimanche dernier !

lundi 28 juillet 2008

Un dimanche bien rempli

Dans la série télévisée Hercule Poirot (qu’incarne avec génie mon idole David Suchet), le détective belge, inventé par Agatha Christie, se promène souvent, en huppée compagnie, parmi des ruines grecques ou égyptiennes. Et, immanquablement, lors de la visite, son attention, toujours sur le qui-vive, est attirée par des bribes de phrases énigmatiques, ou par une dispute au motif encore mystérieux. C’est souvent le manège d’une vieille dame riche acariâtre et de sa gouvernante, qu’elle traite avec rudesse, qu’il observe de loin, en lissant sa célèbre moustache. Mégère qui passe peu après de vie à trépas dans des circonstances étranges. J’ai pensé à cela hier, en débouchant du tunnel sombre en colimaçon qui nous amène à l’entrée de l’exposition sur Hadrien. Une vieille dame anglaise, à la voix snob et désagréable, semblant tout droit sortir d’un épisode d’Hercule Poirot, s’en prenait méchamment à un pauvre employé du British Museum. Se retrouve-t-elle dans la rubrique des faits divers du Times ce matin ? J’ai un alibi !
L’expo (ICI et ICI) et dans Le Monde (ICI) – qui s’ouvre sur le manuscrit de Marguerite Yourcenar et se termine, en écho, sur les fragments, uniques au monde, de l’autobiographie d’Hadrien - est un tour de force, parce qu’elle arrive à nous intéresser à cet antique empereur romain, au moyen de trois fois rien: quelques maquettes, des bustes, des fragments de papyrus en pattes de mouche, indéchiffrables pour le commun des mortels... En fait, c'est plus le travail minutieux des archéologues, pour nous transmettre l’histoire et approcher au plus près de la « vérité historique » que j'ai aimé. Lire sur les étiquettes : « des fouilles récentes ont mis à jour... ce qui remet en question la thèse selon laquelle... » me fait rêver.
J’ai ensuite traversé la Tamise et fait un saut de plusieurs siècles, pour aller voir Ode to Mount Hayachine (1983) de Sumiko Haneda, un documentaire de 3h sur des Kagura, des danses Shinto, qui se déroulent depuis le Moyen Age dans des villages perdus du Mont Hayashine, dans le nord du Japon. Je me suis souvenu que j’avais dans ma bibliothèque Le dieu masqué : fêtes et théâtre au Japon, le gros livre de Gérard Martzel spécialiste du sujet, que j'aurais bien fait de potasser avant le film !
J’ignorais encore que Youssef Chahine avait disparu : en hommage à celui dont j’aimais l’humour et le courage, voici le poème-épitaphe qu’Hadrien - qui voyagea longuement en Egypte où Antinoüs, son amant (ci-dessus), se noya dans des conditions encore non élucidées - composa et qui inspira plus tard Ronsard :
Âmelette vaguelette, blanchelette,
Hôtesse et compagne de mon corps,
Qui bientôt partiras en des lieux
Pâles, raides et nus,
Tu n'y donneras plus tes reparties habituelles.

dimanche 27 juillet 2008

Petit rien sur Hadrien

Le véritable lieu de naissance est celui où l'on a porté pour la première fois un coup d'oeil intelligent sur soi-même: mes premières patries ont été les livres.

Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar

Ce matin je vais au British Museum voir l’exposition sur l’Empereur Hadrien (76-138), demain je pourrai écrire, moi aussi, en toute modestie, mes « Mémoires d'Hadrien » !

samedi 26 juillet 2008

Carpe Diem

Hier j’ai vu Paris, un très joli film de Cédric Klapisch (ICI) avec « juste des moments de vie. Des moments juste simples, juste beaux, juste justes » (Télérama). C’est un film qui rend à la fois heureux et mélancolique, émotions que magnifie la Gnosienne nº1 d’Erik Satie qui accompagne certaines séquences. J’aime bien le paisible cinéma où il est projeté, l’Odeon Covent Garden, ancien théâtre des années trente, avec sa belle façade Art Deco sur laquelle court une fresque en bas-relief représentant « Le théâtre à travers les âges ». On l’oublie souvent car il n’est pas dans la partie la plus fréquentée de Shaftesbury Avenue, la rue des théâtres du West End. Je suis toujours en vacances quand j’y vais pour la première séance. Son personnel semble indéboulonnable ! On dirait les membres d’une même famille, souriants et accueillants. En tout cas, l’équation de son emplacement, de son atmosphère familiale et feutrée, et des films légèrement décalés qu’il projette, me fait toujours vivre un moment heureux, volé au temps et à l’agitation du coeur de Londres. Ce cinéma donne l’envie d’y passer un moment avec des personnes qu’on aime tout particulièrement et c’est ce que j’ai fait. Carpe Diem! c’est ce que nous conseille Seize the Day (ICI), la chanson de Wax Tailor sur la B.O. du film.

vendredi 25 juillet 2008

Gare au Gorillaz!

Notre imagination [est] comme un orgue de Barbarie détraqué qui joue toujours autre chose que l’air indiqué.

Marcel Proust

Si le jeune Marcel d’A la recherche du temps perdu était « préoccupé du désir d’entendre la Berma dans une pièce classique », je me faisais moi une joie d’aller hier soir, et pour la première fois de ma vie, au prestigieux Royal Opera House de Covent Garden, pour une soirée de gala. Puccini, Verdi ou Donizetti, n’étaient pas au programme, ni aucuns des Gaspare Pacchierotti ou des Lucrezia Agujari - La Bastardella - du moment (artistes que Frances Burney avait eu le privilège de voir chanter dans ces mêmes lieux au XVIIIe siècle) n’y donneraient de récital. Non, hier soir, ce « temple de l’art lyrique » londonien s’enorgueillissait d’accueillir Monkey : Journey to the West, composé par Damon Albarn (ex-Blur) et Jamie Hewlett, de Gorillaz (ICI) à qui l’opportuniste BBC a commandé le générique de la retransmission des JO de Pékin (ICI) .
Aujourd’hui on entre à l’opéra comme dans un moulin, et c’est une foule bigarrée en jeans, t-shirt et sandalettes qui jouait des coudes dans le foyer et s’éparpillait dans les escaliers richement sculptés en direction de l’auditorium ou du bar. Sous cette immense serre aux allures victoriennes, le motif du singe se déclinait partout : sur les murs, aux branches des bananiers, sur la carte des cocktails rebaptisés pour l’occasion. On y faisait la promotion d’une bouteille aux formes rebondies, sorte de « cuvée du singe », dont je n’osais approfondir l’origine du breuvage couleur whisky.
Une fois assise, j’aurais aimé apercevoir sous les lambris dorés, « réfugiées contre les parois obscures » de leurs baignoires, les « blanches déités » dont parle Proust, et voir le « déferlement rieur, écumeux et léger de leurs éventails de plumes, sous leurs chevelures de pourpre emmêlées de perles ». Mais ni « tritons barbus », ni « demi-dieu aquatique», ni même de princesse de Guermantes anglaise « enturbannée de blanc et de bleu », un « immense oiseau de paradis » en guise de couronne, n’a assisté – les veinards - à cette affligeante adaptation du génial livre de Wou Tch’eng-en : Le singe pèlerin ou le pèlerinage d’Occident [Siyeouki], un des quatre grands classiques de la littérature chinoise, publié vers 1590.
De l’expédition en Inde, au VIIe siècle, du bonze Hsuan-tsang (ou Tripitaka), du Roi Singe Sun Wu Kong, du cochon Zhu Bajie, de Shaseng (le bonze des Sables) et d’un Prince Dragon transformé en cheval, et des 81 épreuves rencontrées par ces fantastiques pèlerins, il ne reste rien, ou alors une ébauche, toc, répétitive, fouillis et bâclée. L’humour du livre a été oublié au profit de masques grimaçants et de costumes dignes des premiers épisodes de Star Trek. J’ai trouvé le tout très antipathique, creux, nauséeux et idiot. Une ou deux saynettes étaient visuellement belles, soit, mais même là, les acrobates me semblaient amateurs, et je m’attendais à recevoir sur la tête, à tout moment, un des bâtons enflammés manipulés sur scène. Même la musique était à la limite du supportable.
Où était-il donc passé, mon espiègle macaque, qui fait fi des convenances et se comporte avec tant d’impertinence et de singerie envers les augustes Immortels ? L’Empereur de Jade qui siège « dans la Trésorerie des Brouillards Sacrés du Palais des Nuages aux portes d’or » ? Et où se cachaient-ils les six bandits de grand chemin aux noms si sensuels : Oeil-qui-voit-et-se-réjouit, Oreille-qui-entend-et-se-met-en-colère, Nez-qui-flaire-et-convoite, Langue-qui-goûte-et-désire, Esprit-qui-conçoit-et-se-délecte, Corps-qui-souffre-et-endure ? Je m’étais tant tordue de rire à la lecture de ce roman chinois à la langue si imagée ! A oublier, très vite ! Alors: Pas un mot de plus ! pour citer mon petit singe préféré ! Heureusement qu’il y a la série télévisée (ICI) !

jeudi 24 juillet 2008

Silence et dors!

Une mère et ses cinq enfants en bas âge, voyageaient tant bien que mal hier dans un bus surchauffé. Trois étaient sages comme des images, le bébé vagissait dans sa poussette, et une petite fille cherchait à tout prix à capter l’attention de sa mère qui, imperturbable, ne se préoccupait que du bébé hurleur. J’ai pensé à Anne-Marie, qui partait en congé de maternité et dont nous venions tout juste de fêter le départ. Elle va donner le jour, dans quelques semaines, à son 4e enfant. Elle nous a dit, d’un ton las, qu’elle s’imaginait bientôt « dépassée par les événements » et qu’elle avait peur.
Après des journées et des journées de ciel plombé, la chaleur nous est tombée dessus, à l’improviste, transformant bus, bureaux, et maisons en étuves. Que c’était bon de dormir la fenêtre ouverte ! Mais je n’ai pu fermer l’oeil que dans la grande profondeur de la nuit, à ces heures enfin silencieuses où les voitures ont étrangement disparu et où les joyeux fêtards ont regagné leurs pénates. Depuis lundi, je suis nostalgique du silence. Ce jour-là, j’attendais l’heure de mon rendez-vous devant l’ancienne Bourse, en plein coeur de la City. Il y a quelques bancs autour de l’imposante statue de Wellington. Le soleil jouait à cache-cache avec les nuages, causant une alternance de froid et de chaleur intenses. Toute à ces sensations, je ne tournais plus les pages de mon livre, je m’assoupissais, bercée par la conversation d’affaires de mes voisins. Soudain, je n’ai plus entendu que le bruit oppressant de la circulation, comme un grondement sans répit. J’ai pensé au silence des nuits d’Espagne, quand il n’est troublé que par un camion poussif, cahotant sur une route de montagne, et que l’on s’endort dans la paix des vacances. Hier, à la faveur de ce début d’insomnie, j’ai découvert que si j’avais du mal à m’intéresser aux pièces de George Etherege et de William Congreve, avec leurs Dorimant, Millamant, Fopling Flutter, Wilfull Witwoud, c’était différent avec celles de Sheridan. C’est en pensant que c’était la dernière marche avant le Genji que j'ai fini par m'endormir.

mercredi 23 juillet 2008

Chat pitre

J’étais dans un cinéma avec un chat. Celui-ci dormait sur mes genoux dans le noir. Je m’étais mise machinalement à le caresser et ce chat, dérangé, s’était échappé. Je m’étais précipitée à tâtons hors de la salle de cinéma à sa poursuite. A chaque fois que je croyais l’apercevoir, je constatais, dépitée, en m’approchant, que ce n’était pas lui. Au fur et à mesure les chats se multipliaient comme par magie dans ce jardin, très vert, sur lequel le cinéma donnait de plain-pied. Une meute de chats a fini par me talonner et se frotter à mes jambes. Chaque chat, au début de mon rêve, ressemblait, à un détail prêt, au chat égaré. Mais au bout de mon rêve, les chats que je rencontrais étaient en tous points différents du chat original. Ce chat ne m’appartenait pas et je me repentais d’avoir eu l’idée saugrenue de l’avoir amené au cinéma.

mardi 22 juillet 2008

Mes campagnes

La bataille d’Austerlitz, je l’avais envisagée du côté russe en regardant l’envoûtant Guerre et Paix (1965/7) de Sergei Bondarchuk. L’image du beau Prince Andrei Bolkonsky qui, grièvement blessé, allongé sur un canon dans la désolation du champ de bataille, admire la beauté du ciel en murmurant des phrases si pures qu’on a peur d’en perdre une miette, est un souvenir impérissable. Cette adaptation du roman fleuve de Tolstoï nous entraîne au sein de ce « pêle-mêle de casques, de cris, de sabres, bondissement orageux des croupes des chevaux dans le canon et la fanfare, tumulte discipliné et terrible » (Victor Hugo).
Quant à la bataille de Waterloo, c’est à travers les yeux de Fabrice del Dongo dans La Chartreuse de Parme de Stendhal, que je l’avais suivie : « Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment. Toutefois la peur ne venait chez lui qu’en seconde ligne ; il était surtout scandalisé de ce bruit qui lui faisait mal aux oreilles. (...) Le maréchal [Ney] s'arrêta, et regarda de nouveau avec sa lorgnette. Fabrice, cette fois, put le voir tout à son aise ; il le trouva très blond, avec une grosse tête rouge. (...) Il regarda les hussards ; à l'exception d'un seul, tous avaient des moustaches jaunes. Si Fabrice regardait les hussards de l'escorte, tous le regardaient aussi. Ce regard le fit rougir, et, pour finir son embarras, il tourna la tête vers l'ennemi. »
Hier, en tournant les captivantes dernières pages de la biographie de Frances Burney (ICI), c’est toute l’épopée napoléonienne vue du côté anglais que j’ai redécouverte. En 1802, Fanny est mariée au Général d’Arblay, un émigré royaliste, ils ont très peu d’argent pour vivre. Elle suit son mari en France où il espère récupérer ses biens abandonnés à la Révolution. Mais en 1806 Napoléon instaure le Blocus Continental (ICI), la guerre entre la France et l’Angleterre reprend, et pendant 10 ans Fanny ne pourra remettre les pieds en Angleterre et n‘aura aucune nouvelle de sa famille. C’est difficile d’imaginer cela aujourd’hui avec tous les moyens de communication dont nous disposons ! Ses émouvantes retrouvailles avec son père sont à la mesure de ce long silence forcé.
Napoléon une fois exilé à l’Île d’Elbe, le Général d’Arblay fait partie de l’entourage de Louis XVIII. Coup de théâtre : Le 1er mars 1815 Napoléon débarque à Golfe-Juan, et c’est le Vol de l’Aigle jusqu’aux Tuileries et la période des Cent-Jours qui prendra fin le 18 juin 1815, à Waterloo. Louis XVIII et ses fidèles ont fuit vers le Nord. Attendant un bateau pour l’Angleterre, Fanny est à Bruxelles et elle verra débarquer pendant des semaines, dans un flux continu, les survivants et les morts de cet effroyable carnage. En Belgique, elle rencontrera Chateaubriand qui raconte dans Mémoires d'Outre-tombe comment il a vécu le 18 juin 1815: "Vers midi, je sortis de Gand par la porte de Bruxelles (...). Je cheminais lentement, plongé dans ma lecture. J'étais déjà à plus d'une lieue de la ville, lorsque je crus ouïr un roulement sourd : je m'arrêtai, regardai le ciel assez chargé de nuées (...). Ces détonations moins vastes, moins onduleuses, moins liées ensemble que celles de la foudre, firent naître dans mon esprit l'idée d'un combat. Je me trouvais devant un peuplier planté à l'angle d'un champ de houblon. Je traversai le chemin et je m'appuyai debout contre le tronc de l'arbre, le visage tourné du côté de Bruxelles. Un vent du sud s'étant levé m'apporta plus distinctement le bruit de l'artillerie. Cette grande bataille, encore sans nom, dont j'écoutais les échos au pied d'un peuplier, et dont une horloge de village venait de sonner les funérailles inconnues, était la bataille de Waterloo !"
Et maintenant, après quelques pièces de théâtre comique de l’époque de la Restauration Anglaise (1660-1689) (ICI), je ferai l’ascension du Dit du Genji par sa face nord!

lundi 21 juillet 2008

Biche effarouchée

C'est le plus ancien jamais découvert à Paris. (...) Ce site, qui date du mésolithique (12.000-6.000 ans avant J.-C.), a été occupé par des chasseurs-cueilleurs (...). Les peuples vivant à cette époque étaient nomades et chassaient le cerf, le sanglier ou le chevreuil. La présence d’un foyer laisse entendre que les hommes du mésolithique ont bivouaqué à cet endroit. Les populations du mésolithique ont vécu après la disparition du mammouth et du renne, dans un paysage tempéré où la forêt a remplacé la steppe glaciaire. (ICI)

Après I am Legend de Francis Lawrence, dans la salle, c’était l’hilarité générale : personne n’avait cru une seule seconde aux ridicules monstres zombis du film. En sortant du cinéma je me retrouvais dans la nuit effervescente de Tokyo. De l’ascenseur transparent qui glisse lentement le long de la façade, je venais d'avoir sous les yeux, à perte de vue, un panorama de néons multicolores, de gratte-ciels aux formes improbables qui scintillaient dans la nuit hivernale, et, plus bas, j’avais aperçu des dizaines de petites silhouettes qui pressaient le pas pour ne pas rater le dernier métro. La vision d’horreur du film moraliste s’était progressivement dissipée pour faire place au tournis de faire partie, l’espace d’une nuit, de la foule animée de Shibuya.
Hier, attablée devant une piña colada bien fraîche, j’ai comparé l’ébriété naturelle que donne le bonheur, à celle que procure l’alcool, qui s’évapore sans laisser de traces mémorables. Je venais de voir Wall-E de Andrew Stanton. Ce petit robot amoureux transi m’a tapé sur le système. Quand dans une décharge il trouve une bague en diamant et préfère en conserver l’écrin plutôt que le bijou, c’était parti pour une critique pas très drôle et cliché des travers de notre société : on est foutu on mange trop, on pollue trop, on est cupides, et nous finirons tous comme les moutons de Panurge. Pauvres humains, pour qui tout ce qui brille vaut de l’or, qui passent leur vie dans les centres commerciaux à remplir d’énormes chariots de bouffe grasse ! Ce qui vous pend au nez c’est carrément l’Apocalypse, c’est de devenir plus robot que les robots eux-mêmes, d’obèses couch potatoes à la cervelle de moineau, s’empiffrant de hamburgers et de milk-shakes, les yeux rivés sur une télé trash, ayant oublié ce qu’était l’amour, la danse, un brin d’herbe, et qui croient que les pizzas poussent sur les arbres. Battez votre coulpe car regardez la Terre, ce dépotoir, vidée de ses habitants, recouverte de déchets : le ciel est rouge, l’air est contaminé etc etc... Et bien entendu, pour nous faire encore plus froid dans le dos, on nous refait le coup de la Statue de la Liberté dans La Planète des Singes en nous montrant les ruines encore fumantes de bâtiments célèbres... Oh la la... Serveur ! Une autre piña colada s’il vous plaît !

dimanche 20 juillet 2008

La Tortue


"Internet impose une révolution par rapport à l'idéal bibliothécaire d'exhaustivité. Le bon archiviste est désormais celui qui fait un tri (...). Cette masse d'informations induit "un changement de statut de la mémoire. Avant l'ère numérique, elle était faite de ce que le temps léguait des générations passées" : tablettes d'argile pétrifiées par les incendies ou manuscrits recopiés par des générations de moines. "Aujourd'hui, tout peut se conserver (...). La mémoire, c'est ce que l'on garde."

Quels gardiens pour la mémoire ? d’ Hervé Morin (ICI)

Il y a plusieurs raisons qui m’ont fait adorer L’heure d’été (2007), le merveilleux film (ICI) d’Olivier Assayas, que j’ai vu hier, et je n’ai rien à ajouter à ces critiques : ICI, ICI et ICI et ICI. À l’origine de ce projet il y a le Musée d’Orsay, et le film-jumeau de L’Heure d’été est le magnifique Voyage du ballon rouge de Hou Hsiao Hsien - un journal anglais dit même que c’est le film « le plus taïwanais » d’Assayas. Moi qui me réjouissais d’avoir enfin trouvé un film français récent qui me comblait autant qu’un film asiatique, je trouve ça assez drôle ! Ce film arrive à point nommé pour moi qui suis confrontée à la vente d’un « appartement de famille », acheté il y a 40 ans, et où je n’ai pas mis les pieds depuis plus de 10 ans. Unique témoin – croyais-je - des étés de mon enfance et de mon adolescence, qu’il me plaisait niaisement d’imaginer plongé dans le noir une bonne partie de l’année, conservant jalousement ses souvenirs (pas toujours très heureux d’ailleurs). Mais L’Heure d’été répond à toutes mes interrogations, me libère et m’émancipe en me rappelant qu’un souvenir c’est une matière vivante qu’il faut transmettre, investir dans le présent et puis faire circuler et fructifier : c’est où je suis ici et maintenant et où je serai demain, au Japon ou ailleurs.
Dans la maison de la belle Hélène, les murs, les tiroirs, les étagères, les armoires, le moindre guéridon, regorgent de souvenirs. Comme elle, j’adorerais avoir une vieille baraque aux murs décrépis, où j’aurais la place, pendant des décennies, sur plusieurs étages, dans les plus petits coins et recoins, d’accumuler des couches et des couches de photos, d’objets, de livres, de tableaux, de carnets, de lettres, de cartes postales, de coupures de journaux... autant de preuves d’une vie bien remplie, dans le seul et unique but d’éprouver un jour la jouissance de replonger dans ma mémoire et de tout trier, tout démêler, pour y voir enfin clair sur ma personne et prolonger ainsi un peu plus mon existence en me donnant ce que les Anglais appellent a new lease of life . Mais il suffit de voir mon appart ce matin pour s’apercevoir qu’il aurait bien besoin d’un coup d’archivage... heu... et si j’attendais 2015?

samedi 19 juillet 2008

Clowns et Kowloon

Hier matin dans Big Brother (l’équivalent du Loft français), deux niais en imperméable, un collier d’ail autour du cou et coiffés d’un béret – pour ressembler à des Français donc... - devaient s’avaler une baguette d’au moins 2m, fourrée de mâche et d’énormes morceaux de camembert, chacun commençant par un des deux bouts, soutenus dans ce challenge inouï par une bande de congénères décervelés. Je ne saurais jamais la fin de cet « exploit » dont ils s’acquittaient avec un sérieux ridicule en ne nous épargnant aucun haut-le-coeur dégoûtants car, croyant me faire plaisir, on a subitement zappé... me laissant sur ma faim.
Quelques heures plus tard, j’ai oublié cette émission sordide en m’évadant à Hong Kong, histoire de prolonger l’atmosphère chinoise d’un déjeuner d’anniversaire tardif et bien joyeux. Dans un restaurant aux lumières tamisées, Bun, le Mad Detective du film de Johnnie To et Wai Ka-Fai, mis à la retraite pour avoir offert - à la Van Gogh - une de ses oreilles bien saignante à un collègue, commande pour la dixième fois les mêmes plats - difficile de ne pas s’en souvenir : soupe d’aileron de requin, poisson vapeur, demi-poulet grillé, riz blanc – et pour la dixième fois s’en bâfre à s’en étouffer. Tout cela parce que l’inspecteur Ho Ka-on ne retrouve plus son collègue Wong Kwok-Chu disparu en mission, et que Bun peut voir l’âme des gens, et que de lourds soupçons planent sur le bel inspecteur Ko Chi-Wai qui aurait 7 fantômes en lui... Une vraie histoire de fous, oui. Je n’ai pas tout compris, mais devant un film de Johnnie To, je perds tout sens critique. J’aime ses films inconditionnellement. Ils me rendent tous euphorique. Ils me montent à la tête comme des bulles de Champagne, parce que je les vois tous à des moments très heureux, et donc je pense que ces bonheurs s’accumulent et éclatent en moi comme des feux d’artifice à chaque nouvel opus de ce cher Mister To Kei-Fung.

vendredi 18 juillet 2008

L'Halloumi de mes amis

Une nouvelle, c'est de la concision, du brut. Du coup de poing. Quelques pages, et puis voilà. Carver ne plante pas de décor, ne dit rien du lieu, ou à peine, une cuisine, une table, ne dit rien de ses personnages, ou à peine. Qu'importe d'où ils viennent, qu'importe leur passé, seul compte l'instant présent - un silence, un geste, trois mots -, la marque de fabrique Carver. L'écrivain met ses personnages - d'autres lui-même - en images. Il avance plan par plan, les emmène au bout de leur histoire, celle qu'il a imaginée, ou glanée, pour eux. Et les plante. Au lecteur de faire le reste : accepter d'être chamboulé par cette prose incandescente, accepter de devenir accro, comme toute une ribambelle d'écrivains [dont] Haruki Murakami, qui traduisit le « grand Ray ».

Martine Laval (ICI)
J'adore le halloumi même en photo
J’imagine mal un personnage de Raymond Carver échoué dans ce petit café grec de Hornsey. Le silence n’y a pas droit de cité car l’exubérance toute méditerranéenne de la patronne déteint sur ses clients. Aucune peine ne résiste aux parfums des pulpeuses tomates farcies, du halloumi à la plancha et des grillades. Le plus solennel des clients poussant sa porte se déride instantanément : on l’accueille par de grands « Hello my friend ! » et l’amphitryonne lui prodigue tant de mamours que c’est toujours à regret que l’on quitte cette jolie salle exiguë, aux murs pleins de soleil. Mais maintenant que j’y pense, il y avait, à la table voisine, un homme aux traits creusés qui restait insensible dans tout ce tumulte...

jeudi 17 juillet 2008

Café Society

Cet été, à Londres, difficile de ne pas remarquer ces petits tableaux noirs qui ont poussé comme des champignons à l’arrivée des beaux jours. Voilà que tous les cafetiers se font illustrateurs du dimanche. Ils rivalisent d’imagination pour attirer la clientèle. Ci-contre, le limonadier-dessinateur du luxuriant square où, il y a encore quelques décennies, Virginia, Vanessa, Maynard et Lytton allaient refaire le monde, se rend-il compte qu’il a résumé notre époque en quelques coups de craie ? Ce « petit abri ouvert de toutes parts » dans ce jardin paisible de Bloomsbury, où l’on ne propose ni fleurs, ni journaux, ni jouets pour enfant, est un kiosque qui s’appelle Kiosk. Pas très original, soupirez-vous... mais quand, dans le quartier, nous disons « on va au Kiosk » pour une pause-café impromptue, personne ne doute de notre destination. Un bon coup de marketing, non ? Notez la virgule après Kiosk, signifiant qu’il est ouvert en toutes saisons et que, bien que petit et modeste, les boissons savent s’adapter aux besoins des flâneurs. C'est pourquoi, au plus profond de l’hiver, quand les parterres de fleurs ne sont que boue informe, nombreux sont ceux qui bravent les frimas pour venir prendre le thé et avaler leurs sandwichs, emmitouflés jusqu’aux yeux, en se serrant sur un banc humide comme des moineaux sur des fils électriques. En anglais les saisons prennent une majuscule, cela leur confère une dignité et une noblesse que l’on respecte, même si on n’en finit pas de pester contre elles !
Remarquez comme aucune des boissons désaltérantes proposées n’est anglaise, ce qui était impensable il y a encore quelques années. On peut se gausser de cette touche simili-italienne, mais pour qui a connu le temps où les amateurs de café n’avaient que les fast-food et leurs jus de chaussette pour assouvir leur manie, ces mots évocateurs de dolce vita, rend la vie plus douce aussi. Notez la répétition de « Iced », habilement placé toutes les deux lignes, comme dans une ritournelle ou un rap. Mais a-t-on besoin de se glacer le gosier quand tout le corps l’est déjà ? Quand tout le monde éternue et tousse et doit sans cesse se justifier : NON ce n’est pas le rhume des foins mais le rhume d’Eté anglais ! Et NON, mon thé anglais ne m’a pas ôté ma toux ! Quelles friandises peut-on grignoter ici ? Des barres chocolatées ou des muffins faits maison, du gâteau à la carotte ? Nul ne le sait. Et qui est ce « We » royal qui soutient le commerce équitable, en ultime signe des temps ? Peu importe : peut-être qu'un jour une galerie décidera-t-elle d’exposer ces oeuvres d’art de la rue, naïves et colorées ?

mercredi 16 juillet 2008

Histoire à dormir debout

Un jour, le soleil boudera notre ville à jamais...
Nous n’aurons plus d’appétit...
Le temps se figera aux horloges...
Nous essaierons en vain d’écarter les nuages...
Mais nos signaux attireront des extra-terrestres bon vivants
Partout leur épopée jusqu’à nous sera fêtée!
Ils nous diront : Amusez-vous ! Allez au théâtre !
Ou au spectacle de marionnettes !
Et surtout : n'oubliez pas de cultiver votre jardin !

mardi 15 juillet 2008

Sens et contre-sens

Expérience multisensorielle de premier choix
Le jeune Marcel va le dimanche grignoter une madeleine chez sa tante. Cette expérience multisensorielle renouvelée se traduit dans son cerveau par une poussée de connexions neuronales, impliquant des phénomènes à la fois électrochimiques et la production de protéines, qui stimule et renforce durablement certains circuits. Ceux-ci vont constituer un souvenir, "stocké" dans l'hippocampe. Des décennies plus tard, une saveur oubliée réactive ce réseau délaissé, d'abord sous la forme d'une émotion sans objet, qui dans l'écheveau des neurones finit - miracle ! - par trouver son origine, faisant le pont entre l'affection toujours présente de sa mère et celle, retrouvée, de sa tante disparue. Le reste est littérature : "Tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé"...

Hervé Morin - L'hippocampe de Proust (ICI)
Dans plusieurs décennies, s’il m’arrive, comme je l’espère, de revoir le film Manin Densha (A full-up train) de Kon Ichikawa (1957), je suis certaine que surgiront de mon hippocampe les rires bécassons des deux têtes de linottes derrière nous, qui se bidonnaient à chaque fois qu’un toutou traversait l’écran ou qu’un personnage ouvrait son parapluie les pieds dans la boue... - gloussements qui se sont taris dès que le film est vraiment devenu drôle, mais d’un humour noir mâtiné de burlesque ! Je me demande ce que sera devenu le National Film Theatre, qui s’est déjà tant métamorphosé en 10 ans, que nous en sommes tout désorientés. Quel genre de restaurants y aura-t-il aux alentours ? Pourra-t-on encore y déguster des pizzas et rigoler en commentant le « warp and woof » de nos vies ? Ou bien peut-être y aura-t-il des restaurants chinois partout où l’on se délectera de « de langues de moineau frites, de tortue au sucre glace et jambon, de ragoût d'yeux de boeuf, de lèvres de poisson à la vapeur. » (ICI) Qui vivra verra !

lundi 14 juillet 2008

Ainu Mosir

(...) Je me demande ce que c’est, le “contenu” de quelqu’un.
- (...) Ma mère adorait la peau de saumon, et elle disait souvent que ce serait bien qu’il existe des saumons qui n’aient que de la peau. Ce qui veut dire que, dans certains cas, il vaut mieux qu’il n’y ait pas de contenu et seulement un contenant. (...)

Un ovni a atterri à Kushiro
Haruki Murakami – Après le tremblement de terre (2000)

Cette nouvelle de Murakami, la première que j’aie jamais lue de lui et qui m’a fait tomber amoureuse de ses livres (le prochain sort ici dans un mois), se passe dans « le Hokkaido », un nom qui m’a toujours attiré depuis que, pour les besoins du Bac, j’ai dû apprendre par coeur le nom des îles principales du Japon - Honshū, Kyūshū, Shikoku, Hokkaidō – et où celui de l’île « la plus septentrionale » de l’archipel était le plus facile à retenir. Si l'on m’avait demandé à brûle-pourpoint il y a encore un mois, comment je m’imaginais Hokkaidō, j’aurais dit que c’était un endroit glacial et peu hospitalier, sauvage, où l’on va soigner ses peines d’amour, comme le Komura de la nouvelle, et où l’on renaît ainsi à la vie, mieux, où l’on découvre le sens de la vie. Début juillet, j’ai vu le film The Yellow Handkerchief, et j’ ai parlé plus loin de ce film de Yoji Yamada qui se passe à Hokkaidō. Hier soir j’ai vu Kazoku (A wedding en anglais ; Une famille en français) du même réalisateur. Un film de 1970, dans lequel la famille Kazami quitte leur Kyūshū natal pour aller élever des vaches dans le Hokkaidō, et se lance dans un très long périple en train, jalonné de multiples étapes, d’aventures et de malheurs - comme s’ils devaient tout perdre et se détacher entièrement du passé pour pouvoir commencer une nouvelle vie. Nous passons progressivement de terres brûlées par le soleil, aux cerisiers en fleurs de Tokyo (et même au cinéma, l’arrivée en train à Tokyo, avec la Tokyo Tower aperçue entre deux immeubles est émouvante pour moi), à la quasi toundra des terres du Nord. Le plus intéressant du film c’est la visite de l’Expo d’Osaka, quand le film se transforme en documentaire. De l’Expo elle-même on ne voit rien, à part la foule compacte et étouffante, et les vaines tentatives de la visiter des Kazami. Seiichi, le père, avant de se laisser emporter par la foule, nous annonce qu’ils ont 3h et demie devant eux avant leur prochain train. L’équation foule + temps, vous rend fous, surtout si, comme moi, vous arrivez toujours largement à l’heure pour prendre un avion ou un train. Vous avez vous aussi l’impression d’être ballottés par cette masse infinie, et quand ils se cassent le nez devant les portes, et qu’ils doivent rebrousser chemin, pour arriver 5 minutes avant le départ du train, vous êtes aussi épuisés et à bout de nerfs qu’eux. L’arrivée épique à Hokkaidō en pleine nuit n’augure rien de bon, mais vite, nous sommes plongés dans l’attente de l’été, des fleurs des champs, des pâturages, et tout redevient possible, l’avenir recommence à sourire. Il y a sûrement de mauvais côtés à la place que semble toujours tenir Hokkaidō dans l’esprit des Japonais mais sur un plan plus romantique et romanesque, c’est une vraie aubaine !

samedi 12 juillet 2008

Panda pandard

Pour ne pas rester sur les sanglots dûs au merveilleux mais déchirant La Source thermale d’Akitsu (1962) de Kijû Yoshida, je suis allée voir Kung Fu Panda de Mark Osborne, et là, j’ai bien rigolé. Ce qui m’a fait le plus rire – en plus de la population qui est un mélange de mignons petits lapins et de gorets boutonneux et gloutons – ce sont les à-côtés de l’action et les petits détails très amusants. Par exemple quand Po casse une urne contenant les âmes de milliers d’illustres guerriers, elles s’échappent en un nuage vert et on les entend gémir à chaque fois que, par inadvertance, il marche dessus. Un autre truc qui m’a donné un fou rire, c’est la tronche du punching ball... un panda à l’air ahuri. Des trucs idiots comme ça parsèment le film, on ne s’ennuie pas une seconde. Je me demande toujours comment les dessinateurs font pour donner un air sympa et mignon aux animaux, aux fruits, aux objets... Je m’y essaye en vain ! C’est bien de temps en temps de voir ces « grosses machines américaines » : j’ai vu la bande annonce de Meet Dave avec Eddie Murphy, de Wall-e (le prochain ET ?) et aussi de The Mummy : Tomb of the Dragon Emperor (avec des guerriers de Xi’an plus vrais que nature), ça donne envie !!!! En sortant du cinéma, j’ai traversé le magasin Border’s, juste le temps de jeter un regard nostalgique sur tous les DVD en soldes de films que j’adore, et dont j’ai aussi tant attendu la sortie autrefois : Zatoichi de Takeshi Kitano (je vient de voir Tora-san’s Sunrise and Sunset, un film de 1976 de Yoji Yamada, et je pense que Kitano s’inspire de Kiyoshi Atsumi pour ses personnages de ronchons) ou Le Voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki (dont le prochain film Gake no Ue no Ponyo/Ponyo du haut de la falaise sort le 20 juillet au Japon), par exemple. Comme c’était bon de les désirer, de finir par craquer, et de traverser la Manche rien que pour les voir ! Ça me surprend toujours que des choses que je considère comme inestimables ne valent pas leur pesant de cacahouètes.

vendredi 11 juillet 2008

Paradis artificiels

Bien que je ne sois plus une enfant, je suis toujours amoureuse de cartes, d’estampes, et de guides de voyage - ces derniers qui s’accumulent sur mes étagères. A la clarté de ma lampe, ça me plaît d’imaginer des périples dans le vaste monde. J’ai peut-être raté ma vocation... Pendant longtemps je me suis contentée d’ailleurs d’imaginer ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers que l’on rencontre loin de chez soi. Je me souviens de ces voyages comme si je les avais réellement faits, ainsi que de l’époque où, pour ne pas être changée en bête, grâce à mon imagination, je m’enivrais d’espace et de lumière et de cieux embrasés. Quand je n’avais pas les moyens de voyager, quand Internet n’existait pas, ado ou étudiante, je voyageais sans vapeur et sans voile en scrutant les cartes de l’Atlas de l’ Encyclopaedia Universalis. A Tours, je trouvais une bizarre ressemblance entre le bâtiment de la bibliothèque sur les quais de la Loire et le Mausolée Lénine à Moscou : j’avais fait de savants calculs pour mesurer où se trouverait ma maison si j’habitais là-bas et si la bibliothèque était sur la Place Rouge, en superposant le plan de Tours sur celui de Moscou. Il faut dire que j’apprenais le russe à la fac, et j’avais comme ça l’impression de vivre à l’heure russe ! Quand plus tard je me suis mise à étudier la Chine des Tang, je recherchais sur l’Atlas les noms de tous les lieux mentionnés dans les documents que l’on nous distribuait. Je connaissais par coeur la moindre étape de la Route de la Soie que j’avais suivie du doigt, ce qui a ébahi mon prof à l’oral et m’a valu une note extraordinaire !
Vous comprendrez donc que cette nouvelle inespérée (ICI), selon laquelle Londres aura un petit air de Tokyo quand les passages pour piétons d’Oxford Circus seront transformés en Shibuya Crossing, me comble de joie. Traverser Oxford-Shibuya en allant à la fac fera passer dans mon esprit, tendu comme une toile, mes souvenirs du Japon avec leurs cadres d’horizons. Ô pauvre amoureuse de pays chimériques ! Faut-il me mettre aux fers ou me jeter à la mer ? (Si vous avez reconnu dans le texte des extraits du Voyage de Baudelaire, vous n'avez pas eu la berlue!)

jeudi 10 juillet 2008

Deluctando Monemus

Le Prince Genji fait du gringue à Frances Burney. Quel culot vu les neuf siècles qui les séparent ! Mais la gente demoiselle ne s’en laisse pas compter. Je veux bien que l’amour ne connaisse pas de frontières, mais bon, là, il est un peu trop optimiste ! Mais c’est aussi dans mon esprit que ces deux là jouent des coudes !
En ce moment, je lis la passionnante biographie de l’écrivain Frances Burney (qu’on appelle aussi Madame D’Arblay car elle s’est mariée avec un Français fuyant la Révolution). C’est un livre qui vous prend et ne vous lâche plus. Un vieux livre poussiéreux, déniché au fond d’une bibliothèque. Très bien écrit et documenté. Je revisite, à travers elle, la fin du dix-huitième siècle en Angleterre et en Europe. J’y croise des personnages historiques tels que le célèbre comédien David Garrick, ou John Newbery (dont j'ai fait mienne la devise: Deluctando monemus - S’instruire en s’amusant), Arnaud Berquin et surtout Anna Laeticia Barbauld, qui tous ont écrit ou édité les premiers manuels pour l’éducation des enfants (je passe souvent, en allant chez C. près de la Newington Green Chapel, où le mari d’Anna officiait à partir de 1802. Je vais aller voir si la plaque lui rendant hommage s’y trouve toujours), ou le distingué Henry St John, Vicomte Bolingbroke, ou bien encore Samuel Jonhson.
Ensuite, le sort en est jeté : ce sera le Dit du Genji. Mais pas avant quelques semaines car le livre sur Fanny Burney est trop intéressant, foisonnant de connaissances, et je le lis très doucement...

Quel lapsus ci-dessus! Valide vide... qui en dit long sur ce que je pense du personnage!